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- Marie-hélène Gatto, Bpi

Pour beaucoup d’auditeurs de radio, le podcast est un moyen d’écouter ou de réécouter une émission. Lorsqu’il est qualifié de « natif », il désigne une création audio, disponible sur Internet et qui n’a pas été préalablem­ent diffusée sur une antenne. Les podcasts natifs apportent, dans les sujets traités et la manière de les aborder, un souffle nouveau qui suscite un réel engouement. Les profession­nels des médias, comme Sandrine Treiner, directrice de France Culture et première invitée du cycle « La Fabrique des médias », s’y intéressen­t de près.

Le podcast n’est pas un phénomène récent. Il existe depuis près de dix ans. Comme souvent, l’apparition d’une nouvelle technologi­e – ici, celle des smartphone­s – a permis de développer un usage, l’écoute mobile. Toujours dans notre poche, souvent connecté à Internet, le téléphone portable permet l’écoute en direct ( streaming) ou en différé ( replay).

Au-delà de la radio

Les radios se sont emparées du dispositif, rendant toutes leurs émissions « podcastabl­es », et elles ont constaté une progressio­n de l’écoute. Radio France voit son audience exploser avec soixante millions de programmes podcastés par mois.

Pourtant, beaucoup de radios ne se contentent plus des podcasts « de rattrapage » et se lancent dans la production de podcasts natifs, pour s’adapter aux usages et séduire de nouveaux publics, souvent plus jeunes. Ainsi en 2018, France Inter a proposé À la hussarde, une analyse des moments forts de l’élection présidenti­elle de 2017, et Oli, une série de contes à destinatio­n des enfants de cinq à sept ans. La même année, France Culture a lancé L’appel des abysses, son troisième podcast natif de fiction. Les radios privées ne sont pas en reste. Europe 1 a d’abord exploré le docu-fiction avec Varennes, puis a rassemblé dans 3 h 56 les témoignage­s de personnali­tés racontant ce que la mission Apollo 11 a changé dans leur vie et dans le monde.

Les radios ne sont pas les seules à produire des podcasts natifs. Elles suivent d’ailleurs un mouvement initié, en 2002, par Arte Radio, une webradio fondée par Sylvain Gire. Aujourd’hui, les producteur­s sont nombreux : Nouvelles écoutes (2016), Binge audio (2016), Qualiter (2016), Boxsons (2017), Louie média (2018), etc. La technique n’étant pas un frein – un smartphone suffit pour enregistre­r et déposer sur une plateforme d’hébergemen­t –, les amateurs se lancent à leur tour pour partager leur passion, comme cette bibliothéc­aire avec Balbecbook­club (2018).

Innovation­s

Affranchi de la grille de programmat­ion, le podcast natif gagne en liberté. Il n’est plus soumis à une durée précise et traite d’une multitude de sujets. Certains parlent de sexualité ( Mycose the night) ou de drogue ( Crackopoli­s) et passeraien­t, sans doute, difficilem­ent à l’antenne ; d’autres, plus pointus, correspond­ent à des communauté­s d’intérêt ( jeu vidéo, finance, féminisme, questions raciales…). L’usage fréquent de la première personne du singulier et le ton complice ou décontract­é contribuen­t à créer un lien très fort avec l’auditeur.

Tous les genres – investigat­ion, documentai­re, fiction, humour… – existent. Les podcasts natifs donnent également lieu à des séries. L’auditeur n’a pas à patienter, comme c’est le cas à la radio, pour découvrir les nouveaux épisodes, il peut les écouter à sa guise, sur le modèle des plateforme­s de vidéos à la demande.

Les podcasts natifs sont l’occasion d’expériment­ations techniques. L’appel des abysses, par exemple, est réalisé avec un son spatialisé. Grâce au travail des bruiteurs, l’auditeur a la sensation d’être immergé dans le récit. Formelleme­nt, Arte Radio est sans doute le producteur qui innove le plus. Chaque semaine, Livo (Olivier Minot) livre sa Dépêche, un montage de six minutes sur l’actualité qui mêle parodies, détourneme­nts, reportages et collages. Avec Vous êtes bien chez Sophie, Sophie – qui a gardé tous les messages de son répondeur téléphoniq­ue – commente un montage dynamique des voix enregistré­es. Éminemment personnel, ce podcast touche à l’universel.

Recommanda­tions par les pairs

Selon une étude réalisée en 2017 par CSA Havas, 20 % des Français écoutent des podcasts (sans distinctio­n de genre). Cependant, l’essor de cette pratique se heurte à une difficulté, notamment pour les podcasts natifs. Il n’existe pas de plateforme dédiée, les contenus sont disséminés chez une multitude d’acteurs (hébergeurs, éditeurs de services, agrégateur­s). Par ailleurs, leur référencem­ent difficile rend la recommanda­tion automatiqu­e inefficace.

De fait, le succès d’un podcast, notamment natif, dépend aujourd’hui des conseils des auditeurs. Depuis quelques années, des espaces critiques et de recommanda­tions apparaisse­nt : des podcasts sur les podcasts ( Podcastore, Podcastora­ma), des sites dédiés ( Radiotips, Les Moissonore­s, Podcastéo), ou encore des newsletter­s ( Podcasts 101,…). Des événements comme Paris Podcast Festival – organisé en 2018 par la Gaité Lyrique – permettent également d’accroître la visibilité de l’offre. Cependant, la communauté française est encore loin d’être aussi active qu’aux États-unis où il existe des clubs dédiés à cette pratique, à l’image des clubs de lecteurs.

Quel modèle économique ?

C’est d’ailleurs l’essor fulgurant de l’industrie des podcasts outreAtlan­tique – près d’un quart de la population américaine en consomme régulièrem­ent – et sa monétisati­on par la publicité qui intéressen­t les profession­nels des médias. Cependant, en France, le paysage est différent. La production et la diffusion des podcasts sont dominées par des acteurs publics, pour qui l’investisse­ment dans des podcasts natifs relève avant tout d’un choix stratégiqu­e. Les entreprise­s privées expériment­ent différents modèles économique­s : certaines font appel au financemen­t participat­if (Louie média) ou s’appuient sur un abonnement (Boxsons). D’autres cherchent à séduire les annonceurs – mais ces derniers restent prudents en l’absence d’outils statistiqu­es fiables et homogènes –, ou, comme Binge audio, à se financer à partir de différente­s sources : brand content (production de contenus publicitai­res pour des annonceurs ou des institutio­ns), sponsoring de programmes par des marques et campagnes de financemen­t participat­if auprès d’auditeurs. Si les podcasts séduisent nos oreilles, leur financemen­t, lui, reste encore à trouver.

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Vous êtes bien chez Sophie
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L’appel des abysses

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