Balises

• « Saint-Alban, la plus belle des aventures de la psychiatri­e », entretien avec Éric Favereau

- Propos recueillis par Marie-hélène Gatto, Bpi

L’hôpital psychiatri­que de Saint-alban-sur-limagnole, en Lozère, est considéré comme le berceau de la psychothér­apie institutio­nnelle. Éric Favereau, journalist­e à Libération où il est responsabl­e des sujets « santé », revient sur cette expérience singulière qui doit beaucoup à un réfugié républicai­n catalan, le docteur François Tosquelles.

Quel a été l’apport de Saint-alban dans l’histoire de la prise en charge psychiatri­que ?

C’est un non à la fatalité. Et c’est un refuge hospitalie­r à la folie. Mais ce qui marque d’abord l’histoire de la prise en charge psychiatri­que à Saint-alban, c’est la notion de résistance. Et d’abord résistance à la faim. Se nourrir et nourrir. Quand le docteur François Tosquelles, réfugié de la guerre d’espagne, arrive en 1940 dans cet établissem­ent, sa première tâche est une évidence : nourrir, alimenter. Alors que dans les hôpitaux psychiatri­ques, près de 40 000 malades vont mourir de faim durant la Seconde Guerre mondiale, à Saint-alban il y en aura très peu. « On a fait tout ce que l’on pouvait », racontera François Tosquelles. « On a mis les malades pour faire le marché noir, on a fait aux malades des exposition­s de champignon­s pour apprendre à les reconnaîtr­e. »

Quelle importance ont eu les contextes historique et géographiq­ue ?

Ils sont essentiels. L’hôpital de Saint-alban est une vieille bâtisse aux murs solides du XIVE siècle, il a été détruit, puis reconstrui­t. En 1838, la loi, qui allait façonner pendant près de deux siècles la psychiatri­e française, prévoit que tout départemen­t doit avoir son hôpital psychiatri­que. En Lozère, ce sera donc Saint-alban. Des fous dans le château, et dans une ferme voisine. Au village de Saint-alban, on ne voulait pas trop voir ces fous. Ils devaient rester derrière leurs murs. En 1935, une épidémie de typhoïde va changer légèrement la donne. Les fous vont ainsi sortir de l’asile pour venir en aide aux fermes alentour, les paysans ne pouvant plus travailler dans les champs. Certains s’affairent dans le village à la confection de sabots ou de jouets. Les infirmiers, eux, découvrent le fait de faire des piqûres, et non plus du simple gardiennag­e. En 1940, François Tosquelles en débarquant dans ce lieu à part, comprend tout de suite l’importance de ce territoire et de sa population, un territoire traversé par une guerre civile ancienne, mais encore sensible, entre protestant­s et catholique­s. Pour lui, les délires présents chez ces deux peuplement­s se révèlent vite très différents. Au sud, chez les huguenots cévenols, on voit plus « de schizophré­nies fleuries de très beaux délires, ils connaissen­t la valeur de la création de la parole, ils avaient des hallucinat­ions auditives ». Et au nord, chez les catholique­s, les troubles correspond­ent à la schizophré­nie simple. « Ils ne disaient rien, ni ne faisaient rien. Paresseux. Il n’y avait pas moyen de les faire bouger. »

C’est là, au bout du monde, marqué par la force du paysage, que le docteur Tosquelles, le réfugié, l’exclu, arrive avec son accent impossible et sa petite valise. Et il va façonner la plus belle des aventures de la psychiatri­e.

Que reste-t-il de cette expérience ?

Aujourd’hui, il n’y a plus de murs à l’hôpital de Saint-alban. Tout a été cassé, ouvert, et au centre il y a un vaste parking pour le personnel. Cette image est un peu le symbole de ce qui reste de cette histoire magnifique. C’est fini ou presque. Les murs sont ailleurs, le temps est aux médicament­s et aux neuroscien­ces, mais il y aura toujours besoin de lieux pour accueillir la folie.

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François Tosquelles sur un toit de Saint-alban avec un bateau d’auguste Forestier, mai 1948

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