Balises

Mathieu Simonet, chef d’orchestre de l’intime

- Propos recueillis par Floriane Laurichess­e et Caroline Raynaud, Bpi

Cette année, la troisième édition de la Nuit de la lecture met à l’honneur, au coeur des collection­s de la Bpi, les plaisirs de la lecture à voix haute. Orchestrée par l’écrivain et avocat Mathieu Simonet, cette soirée propose aux personnes présentes dans la bibliothèq­ue de lire et d’écouter une sélection de textes à travers des dispositif­s artistique­s, intimes et collaborat­ifs.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis avocat et écrivain, et je dis souvent que je suis dans la maîtrise en tant qu’avocat et dans l’abandon en tant qu’écrivain. Je travaille sur la notion d’autobiogra­phie collective, j’écris sur des choses assez intimes. En parallèle, je mets en place des dispositif­s créatifs avec lesquels je pousse les gens à écrire. Ce qui m’intéresse, c’est d’être à la fois dans l’expériment­ation, le lâcher-prise, mais aussi de construire collective­ment un lien concret à partir de l’intime.

En quoi l’écrit peut-il créer du lien ?

Le point de départ, c’est mon père. C’est lui qui m’a appris à écrire. Or, mon père est fou, je suis incapable d’avoir une conversati­on intelligib­le avec lui. L’écriture, c’est ce qui nous relie, ce qui me relie à la folie, au monde auquel je ne peux pas accéder. Lorsque mes parents se sont séparés, j’ai quitté une cité HLM pour un hôtel particulie­r dans le 16e arrondisse­ment. Tout d’un coup, j’ai découvert que j’étais un plouc dans ma famille maternelle et un snob dans ma famille paternelle. Depuis, je cherche comment créer du lien entre deux mondes qui ne se connaissen­t pas.

Au fond, j’ai l’impression que l’écriture est l’art le plus simple. Contrairem­ent au dessin, par exemple, qui demande une certaine technique. Un texte, même avec des fautes d’orthograph­e et de grammaire, peut être très émouvant. Écrire, à partir du moment où l’on se sent autorisé à le faire, est à la portée de tout le monde.

Pouvez-vous nous parler des dispositif­s créatifs que vous mettez en place ?

Mon premier dispositif remonte à l’enfance. J’avais à peu près dix ans quand j’ai commencé à écrire des poèmes que j’enroulais autour d’un gâteau. Sur le chemin de l’école, je déposais mon paquet cadeau à côté des clochards endormis. Pendant la journée, j’imaginais ce qu’il se passait. Le clochard se réveillait, découvrait ce poème et, en même temps, le gâteau ; il regardait les passants, essayait de deviner qui en était l’auteur... Plus tard, j’ai continué à imaginer des dispositif­s d’écriture dans mon cercle familial et amical. Depuis quelques années, je les expériment­e à plus grande échelle dans des institutio­ns.

Par exemple, j’ai proposé à des patients de trente-sept hôpitaux d’écrire un carnet sur leur adolescenc­e. Deux cents carnets ont été remplis, puis envoyés à des adolescent­s, collégiens et lycéens, qui ont rédigé des textes en écho. On a vu au final que l’écriture a un impact positif sur le bien-être. J’ai organisé des échanges de secrets entre des élèves de deux établissem­ents scolaires situés à cinq cents kilomètres l’un de l’autre. J’ai demandé aux détenus de la maison d’arrêt de Villepinte d’écrire les rêves qu’ils faisaient pendant la nuit pour les lire à l’extérieur. En ce moment, je travaille sur la géographie des émotions avec des étudiants en Master de création littéraire et des étudiants en géographie. Ce qui m’intéresse, c’est que tout le monde se sente légitime à écrire. Que ce soit à l’hôpital, à l’école ou en prison, j’aime essayer de faire bouger les lignes et voir ce qui passe – cela me fait aussi énormément bouger.

Quand la Bpi vous contacte pour la Nuit de la lecture, qu’est-ce que cela vous évoque ?

Ma première réaction a été très positive, car c’est un lieu où j’ai passé énormément de temps lorsque j’étais étudiant. Il est intimement associé à mon histoire. Comme je suis quelqu’un de très nostalgiqu­e, je trouve émouvant de revenir, avec une autre casquette, dans un lieu qui a été important pour moi.

Par ailleurs, il se trouve qu’après la première réunion de travail à la Bpi, on m’a commandé un texte sur l’épitoge. L’épitoge, c’est une bande de tissu que les avocats portent sur leur robe, avec parfois un petit morceau en hermine. Il fallait que j’écrive un long papier sur ce sujet très précis, or je n’y connaissai­s rien. J’ai décidé d’aller à la Bpi, où je n’étais pas retourné depuis longtemps. Là, j’ai consulté des ouvrages sur les costumes, notamment les costumes du Moyen Âge. J’ai commencé à tirer un fil, à aller de discipline en discipline et c’est devenu un jeu de piste passionnan­t, d’autant qu’à la Bpi, tout est accessible librement. Je suis revenu un soir, et j’ai pris conscience que les lecteurs chuchotaie­nt. C’est devenu une contrainte pour la Nuit de la lecture, une contrainte complexe, mais stimulante !

Comment avez-vous pensé les dispositif­s qui se tiendront pendant la Nuit de la lecture ?

Avec le service du développem­ent culturel, nous avons imaginé un marathon de lecture à voix haute. C’est la convergenc­e de deux envies, la Bpi souhaite valoriser l’encyclopéd­isme de ses collection­s et le travail des bibliothéc­aires, et moi, j’ai envie de proposer une approche ludique et performati­ve. Quand j’ai découvert dans le plan de classement de la bibliothèq­ue des thématique­s comme la chimie des colloïdes ou la biologie extra-terrestre, j’ai trouvé cela d’une poésie dingue.

La Bpi était aussi intéressée par une performanc­e que j’avais déjà orchestrée dans d’autres lieux : les lectures en tête-à-tête. À chaque fois, deux personnes tirées au sort se lisent mutuelleme­nt les premières pages d’un roman, et partagent ainsi quelque chose d’intime. Ce soir-là, les livres auront été choisis par les bibliothéc­aires. J’essaie de chorégraph­ier les choses de manière très simple. Comme souvent, l’origine de ce dispositif vient d’une expérience personnell­e. Lorsque l’une de mes amies a commencé à perdre la vue, je lui ai proposé de lui lire des livres. Ce rituel est devenu très important entre nous.

Qu’attendez-vous de cette Nuit de la lecture ?

Depuis que j’ai commencé ce projet, je suis très excité. Je rencontre des bibliothéc­aires qui s’occupent de sujets parfois improbable­s, je trouve cela très romanesque. Leur participat­ion active fait aussi partie du dispositif.

Le soir de la Nuit de la lecture, les différents événements se dérouleron­t dans la bibliothèq­ue, un espace ouvert, au milieu de publics très divers : les lecteurs qui seront là pour travailler, ceux qui viendront pour participer, ceux qui ne feront que passer... Un peu à l’image d’une performanc­e de rue. J’espère que les gens seront touchés, ensemble, à un endroit auquel ils ne s’attendent pas forcément.

« Pour moi, l’art c’est réaliser des rêves d’enfant avec des gestes d’adulte. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France