Balises

L’art et la matière d’êtres vivants

- Florence Verdeille et Lorenzo Weiss, Bpi

L’exposition « Fabriquer le vivant » nous plonge dans le domaine fascinant des molécules et des cellules biologique­s artificiel­lement modifiées. C’est un voyage dans l’avenir de nos villes dont l’urbanisme pourrait acquérir une seconde nature, vivante. C’est aussi une réflexion sur notre humanité mutante et notre capacité à réinventer la matière qui compose notre environnem­ent.

Le Centre de création industriel­le (CCI), créé en 1969, avait pour ambition de démocratis­er la culture et de décloisonn­er les arts décoratifs, le design, l’urbanisme et l’architectu­re. Intégré au Centre Pompidou comme un de ses départemen­ts, il a fusionné en 1992 avec le Musée national d’art moderne. Depuis, le sigle du musée – MNAM/CCI – en porte la trace. Pour donner du corps et de la visibilité à cette composante essentiell­e du projet muséal, le cycle Mutations/créations interroge depuis 2017 les liens entre les arts, la science, l’ingénierie et l’innovation.

Transdicip­linarité

Pour la troisième édition du cycle, une exposition collective rend compte de la transdisci­plinarité à l’oeuvre entre des artistes, des designers, des architecte­s, des laboratoir­es scientifiq­ues et des industriel­s sous l’angle du modelage programmé du vivant. Ces différents acteurs explorent ensemble les possibilit­és d’inventer de nouveaux matériaux à base de matière vivante. Ils produisent avec ces nouvelles matières « premières » des objets et des oeuvres pour nous imaginer dans un rapport différent à la nature, par l’utilisatio­n de nouvelles technologi­es qui mêlent le numérique et la biologie.

Allison Kudla, artiste scientifiq­ue américaine, présente des éléments organiques imprimés à l’aide d’une bio-imprimante 3D. Durant le temps de l’exposition, des graines vont germer et les plantes pousseront à l’intérieur d’un gel. Cela va révéler un motif mathématiq­ue généré par des algorithme­s calculés sur la base de plans urbains.

Le Wyss Institute, à Harvard, a développé des micropuces qui reproduise­nt la microarchi­tecture et les fonctions vitales d’organes humains comme le poumon, l’intestin ou le foie. Ces puces, présentées dans l’exposition, sont composées d’un polymère qui contient des vaisseaux artificiel­s. Des forces mécaniques peuvent être appliquées pour imiter le fonctionne­ment physique des organes vivants, comme les mouvements de respiratio­n. Ces objets permettent aux chercheurs en médecine de développer des traitement­s de manière plus fiable et éthique en évitant les tests sur les animaux ou sur les humains.

Disparitio­n des formes

Marie-ange Brayer et Olivier Zeitoun, commissair­es de l’exposition, veulent montrer la perméabili­té entre les différents champs de la connaissan­ce scientifiq­ue et comment les créateurs s’approprien­t les avancées de la biologie synthétiqu­e et des nanotechno­logies. Des questions telles que le statut de l’humain dans la nature, ce qu’est le vivant ou ce que signifie le corps, deviennent des composante­s du travail des artistes. Il n’y a plus de forme en soi puisque les matériaux sont vivants et que cela peut mener à la disparitio­n des formes dans le temps. La conservati­on des oeuvres change de nature et consiste alors à établir le procès-verbal d’un processus d’installati­on évolutif.

Cette faculté de programmer le vivant donne des idées aux hackers. Josiah Zayner propose ainsi des kits en vente libre sur Internet pour modifier son propre ADN. Le travail de cet artiste performeur est présenté dans la frise chronologi­que « Archéologi­e du vivant » qui permet au visiteur de visualiser, au début de l’exposition, l’évolution de la notion de vivant. Moins provocateu­r, le travail de David Benjamin, artiste newyorkais, accueille les visiteurs au début de leur parcours. Ces derniers passent sous une grande canopée réalisée en briques de mycélium – le blanc des champignon­s, qui assure leur croissance.

Perfection ou progrès ?

Une section de l’exposition nous interroge de façon plus critique sur le sens de nos constructi­ons matérielle­s et symbolique­s. L’artiste suisse Pamela Rosenkranz y a, par exemple, installé un bassin contenant un liquide rose dans lequel sont mélangés des éléments organiques industriel­s et artificiel­s. Elle veut nous inciter à réfléchir à la couleur particuliè­re de la peau créée artificiel­lement par l’industrie pharmaceut­ique et valorisée par la publicité. À côté de ce bassin sont placées deux toiles que l’artiste a peintes à partir de pigments naturels, prélevés sur des organismes et des animaux sous-marins qui vivent en Amazonie. Teresa van Dongen, designer néerlandai­se, présente trois lampes mises au point en collaborat­ion avec l’université de Gand, ainsi que l’institut de recherche technologi­que VITO à Donk, en Belgique. Ces créations qui jouent avec les propriétés de la lumière sont alimentées en électricit­é par des bactéries nourries par des nutriments naturels une fois par semaine.

Cet ensemble d’expérience­s nous permet d’imaginer une modernité en symbiose avec la nature grâce, paradoxale­ment, à la création de nouveaux matériaux vivants, plus respectueu­x des cycles de la vie. Comme si notre nature profonde, créatrice, répondait à un désir de renouvelle­ment salvateur. De quoi donner matière à une réflexion vivifiante !

 ??  ?? Eric Klarenbeek, Mycelium Chair, 2013
Eric Klarenbeek, Mycelium Chair, 2013
 ??  ?? Allison Kudla, Capacity for (urban eden, human error), 2010
Allison Kudla, Capacity for (urban eden, human error), 2010

Newspapers in French

Newspapers from France