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• Simuler, c’est stimuler, entretien avec Marie-hélène Plumet

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Jouer à faire semblant est une activité essentiell­e dans le développem­ent de l’enfant. Marie-hélène Plumet, maîtresse de conférence­s en psychologi­e du développem­ent, nous explique ce qu’un enfant apprend lorsqu’il s’y consacre, seul ou en groupe.

Qu’est-ce que le jeu symbolique ?

Le jeu symbolique se manifeste dès que l’enfant commence à évoquer avec des gestes (et parfois des vocalisati­ons) des situations de la vie quotidienn­e juste pour le plaisir de les évoquer. Ce sont des actions hors contexte : il fait semblant de manger, de dormir, mais il ne mange pas, ne dort pas ; il fait semblant de donner à boire à ses doudous, mais il n’y a rien dans le verre, etc. Ces activités peuvent sembler bizarres parce qu’elles n’ont pas de finalité tangible, sérieuse, mais le but est précisémen­t le plaisir de représente­r ces actions.

Comment le plaisir provoqué par le jeu symbolique est-il relié à un apprentiss­age ?

Le jeu symbolique permet une prise de distance avec la réalité. C’est ce qui crée la jubilation de l’enfant. Les fonctions spécifique­s du jeu symbolique viennent de cette prise de distance. Ce sont tout d’abord des fonctions d’expression affective, de régulation émotionnel­le. Dans ces jeux, l’enfant peut faire sans conséquenc­e ce qu’il ne ferait pas dans la vie réelle. Il peut s’amuser à transgress­er les règles sociales ; il peut prendre le rôle des personnes qui habituelle­ment le dominent comme les parents ou les enseignant­s, il peut prendre le pouvoir. Il apprend en même temps les rôles sociaux de sa culture.

Quels sont les bénéfices des jeux symbolique­s d’un point de vue strictemen­t cognitif ?

Dès qu’ils sont partagés, ces jeux mobilisent des habiletés de compréhens­ion sociale et de communicat­ion des points de vue : il faut arriver à faire comprendre à l’autre des représenta­tions imaginaire­s, qui sont décalées par rapport aux objets manipulés, par exemple, et décoder celles des partenaire­s, au fur et à mesure du jeu, pour évoluer dans un univers imaginaire commun. Les chercheurs appellent cette entrée sociocogni­tive la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire comprendre les représenta­tions de l’autre.

De plus, ces jeux engagent et stimulent les fonctions exécutives, c’est-à-dire l’apprentiss­age du contrôle de nos activités, de nos émotions par un guidage interne. Cela est rendu possible encore une fois grâce à la prise de distance. La fiction est une re-descriptio­n du réel, mis provisoire­ment de côté, ce qui sollicite l’inhibition et l’on y prend des perspectiv­es multiples. Ainsi, au cours d’un jeu de « faire semblant », un même caillou peut être tour à tour une voiture ou un aliment. Cette flexibilit­é cognitive est très importante. De plus, les jeux de fiction à plusieurs demandent une planificat­ion, un scénario, une distributi­on, ce qui fait appel à la mémoire de travail. Ces jeux stimulent aussi le développem­ent du langage.

En France, le jeu symbolique n’est reconnu à l’école qu’en classe maternelle.

Oui, mais il n’est pas assez soutenu par des médiations avec des adultes. Même si le jeu, par définition, demande un engagement librement consenti, l’adulte peut donner un cadre initial et des amorces, comme dans les improvisat­ions au théâtre, dont les apprenants peuvent s’emparer. En maternelle, dans des jeux collectifs, l’adulte peut rééquilibr­er les rôles, faire en sorte que ce ne soit pas toujours les seuls enfants leaders qui aient le beau rôle. Il peut aussi alterner des phases où l’enfant est acteur avec des moments où celui-ci observe le jeu des autres. L’enfant peut ainsi analyser la situation, argumenter sur différente­s façons de jouer ou de faire évoluer le scénario.

Ces moments sont très importants notamment pour faire communique­r des enfants qui appartienn­ent à des cultures différente­s ou des milieux différents. Cela permet à la fois l’expression de l’univers familial et l’appropriat­ion des codes culturels.

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