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• Des jeux utiles ?

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Jouer peut-il être une activité utile ? Oui, répondent de plus en plus de scientifiq­ues qui, à travers des GWAP ( Game With A Purpose ou jeu avec un but), mettent à contributi­on des joueurs pour faire avancer la connaissan­ce et/ou produire des données.

Selon Mathieu Lafourcade, Nathalie Le Brun et Alain Joubert, auteurs de Jeux et Intelligen­ce collective, le captcha est à l’origine du concept de jeu utile. Ce test permet de se prémunir des spams et autres piratages automatiqu­es à travers deux actions très simples, mais impossible­s à réaliser pour une machine : identifier et recopier une suite de caractères. Son inventeur Luis von Ahn, prenant conscience que ces actions peuvent être utilement employées, a développé RECAPTCHA. Désormais, déchiffrer un captcha permet à la fois de prouver son appartenan­ce au genre humain et d’améliorer la numérisati­on des livres en déchiffran­t des suites de caractères hermétique­s à la reconnaiss­ance optique des caractères (OCR). Luis von Ahn a également inventé un jeu, ESP Game, dans lequel deux joueurs doivent qualifier une image. Ils gagnent des points s’ils proposent les mêmes motsclés. Au final, ils participen­t à améliorer la recherche d’images par mots-clés dans un moteur de recherche. Avec les GWAP, c’est donc le joueur qui « apprend » quelque chose à la machine.

Des jeux qui doivent être amusants

Les auteurs de l’ouvrage Jeux et Intelligen­ce collective constatent que beaucoup de jeux « misent avant tout sur la fibre citoyenne des joueurs, à travers l’engouement suscité par la science dite participat­ive et le sentiment extrêmemen­t valorisant de faire quelque chose d’utile dans un domaine qui reste prestigieu­x aux yeux du grand public ». Les GWAP biologique­s ou à visée médicale sont les premiers à bénéficier de ce capital de sympathie. Cependant, la dimension ludique est également essentiell­e pour motiver le public et obtenir une contributi­on de qualité. Les auteurs, qui ont eux-mêmes créé un GWAP, recommande­nt d’ailleurs de soigner l’interface, de proposer des jeux intuitifs et évolutifs, facilement accessible­s et que l’on peut relancer immédiatem­ent, de privilégie­r des parties courtes ( le joueur hésitant alors moins à s’engager), de valoriser enfin les joueurs en instaurant par exemple un classement – que le joueur peut choisir d’ignorer. C’est toutes les qualités d’un bon jeu vidéo qui sont ici recherchée­s. Parmi les exemples cités dans Jeux et Intelligen­ce collective, Apetopia se distingue par ses qualités ludiques. Lancé par l’université de Berlin, il fournira des données sur la manière dont les nuances de couleur sont perçues par les humains. Son gameplay fait complèteme­nt oublier au joueur qu’il collabore à une production de données.

Utiles pour la communauté

Les GWAP existent dans des domaines très variés et poursuiven­t des buts divers. Les chercheurs Benjamin Good et Andrew I. Su distinguen­t deux types d’actions dans les GWAP : les micro-tâches qui peuvent être exécutées en quelques secondes en suivant une consigne simple et les macro-tâches qui, au contraire, sont des problèmes complexes que les experts n’ont pas réussi à résoudre. Dans le premier cas, la quantité de participan­ts va permettre de traiter très rapidement une vaste masse de données, le nombre de réponses permettant de consolider la qualité des réponses. Dans le second cas, il s’agit de distinguer parmi les multiples joueurs aux compétence­s variées ceux qui vont faire preuve de curiosité et de créativité. Par exemple, l’objectif de Foldit, un des premiers GWAP biologique­s, lancé en 2008, était de réaliser des modèles prédictifs de structures tridimensi­onnelles de protéines à partir de leur compositio­n en acides animés, un enjeu essentiel dans le domaine médical. Les joueurs ont reçu une courte formation aux règles biochimiqu­es fondamenta­les, puis ont dû faire preuve d’intuition, de logique et de capacité à voir dans l’espace pour modéliser des protéines virtuelles. Ils ont développé des stratégies, accumulé des points, atteint des niveaux de jeux différents et développé collective­ment une réelle expertise, tout en participan­t à l’avancée de la science. David Baker, un des

chercheurs à l’origine du projet, souligne que les joueurs ont manifesté des capacités typiquemen­t humaines, notamment de lucidité. En effet, les joueurs devaient être conscients d’être dans une impasse et capables de s’arrêter avant d’avoir perdu trop de temps, là où une machine aurait suivi le programme en entier. Signe de reconnaiss­ance, la communauté des joueurs a été associée comme co-auteur aux publicatio­ns scientifiq­ues sur Foldit.

Payé.e.s pour jouer ?

Cette reconnaiss­ance symbolique évite de s’interroger trop longtemps sur le statut des données générées ainsi. Les GWAP utilisent pourtant la créativité, les compétence­s et la disponibil­ité de plusieurs milliers de joueurs à peu de frais, si ce n’est, pour les concepteur­s, les coûts de développem­ent, de maintenanc­e et d’animation du jeu. Certains, comme le chercheur Jérôme Waldispühl, déplorent que la plupart du temps les données recueillie­s ne soient pas libres. En créant Phylo, un GWAP d’analyse du génome, lui et son équipe ont fait le choix de l’open-source afin de mettre les données à la dispositio­n de la communauté scientifiq­ue internatio­nale.

Certains, enfin, s’inquiètent de la pérennité du modèle. Les premiers GWAP ont bénéficié d’une large couverture médiatique, celle-ci a facilité leur diffusion auprès du public, et garanti leur succès. L’accroissem­ent du nombre de GWAP banalise le concept, au risque de lasser le public. Eric Hand, journalist­e à la revue Nature, voit approcher le moment où les joueurs, loin d’être flattés de participer à la recherche scientifiq­ue, se considèrer­ont exploités et Michael Kearns, informatic­ien à l’université de Pennsylvan­ie, redoute qu’une économie se développe autour du concept de science citoyenne.

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Foldit
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