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« Un festival, c’est un happening », entretien avec Catherine Bizern

- Propos recueillis par Marion Carrot, Bpi

À l’automne 2018, Catherine Bizern a été nommée déléguée générale du festival documentai­re Cinéma du réel, dans la continuité d’une riche carrière au service du septième art. Tout en poursuivan­t les missions du festival, elle inaugure pour l’édition 2019 de nouvelles formes de débat et des programmat­ions thématique­s qu’elle souhaite décliner sur plusieurs années.

Depuis quand travaillez-vous à la valorisati­on du cinéma documentai­re ?

Je suis entrée de plain-pied dans le cinéma documentai­re en 1992, lorsque j’ai rencontré les cinéastes qui ont créé l’associatio­n ADDOC (Associatio­n des cinéastes documentar­istes) : Claire Simon, Nicolas Philibert, Richard Copans, Jean-louis Comolli, Denis Gheerbrant, Claudine Bories, Patrice Chagnard... Ensuite, avec Claudine Bories et l’associatio­n Périphérie­s, nous avons créé Les Rencontres du cinéma documentai­re que j’ai animées pendant dix ans. Durant les années quatre-vingt-dix, les cinéastes étaient dans une dynamique de rencontre pour parler de leur travail et prendre en main la diffusion de leurs films. J’ai été un témoin privilégié de ces échanges, et j’en ai tiré la conviction qu’un festival doit permettre aux artistes de trouver les ressources et l’énergie pour continuer à créer.

En 2006, j’ai été nommée à la direction du festival Entrevues de Belfort. À l’époque, les compétitio­ns de documentai­res et de fictions étaient séparées, et j’ai très vite mêlé les deux. L’important, pour moi, c’est avant tout l’acte de création des cinéastes, leur manière de faire. C’est ainsi que j’aborde le Cinéma du réel : c’est un festival documentai­re qui raconte le monde, et le geste du cinéaste y rend également compte de sa propre expérience.

Comment le festival évolue-t-il pour cette nouvelle édition ?

La compétitio­n internatio­nale et la sélection française subsistent, mais de nombreux prix seront transversa­ux, dont celui du premier film. Nous avons par ailleurs créé une sélection horscompét­ition appelée « Premières fenêtres », qui montre des premiers documentai­res issus d’ateliers, des travaux étudiants.

Cette année, le festival propose aussi aux spectateur­s un parcours qui interroge le geste du cinéaste. La programmat­ion « Fabriquer le cinéma » montre des oeuvres qui rendent compte de l’acte de création : des cinéastes se filment en train de faire des films, ils filment d’autres cinéastes ou conversent sur ce qu’est le cinéma. On y verra, par exemple, Autoproduc­tion, un faux making-of de Virgil Vernier sur le cinéaste Nicola Sornaga ; des films de cinéastes sur leur propre travail, tournés pour l’émission des années 1980 Cinéma cinémas ; ou encore une correspond­ance filmée entre Robert Kramer et Stephen Dwoskin. La programmat­ion « Front(s) populaire(s) » consiste, elle, à revendique­r la dimension politique du cinéma. Chaque année cette section assumera un positionne­ment « activiste » du documentai­re. Cette fois, nous proposons une sélection de dix films autour de « l’inquiétant pouvoir des images » et de la « faculté des images à inquiéter le pouvoir », pour reprendre les termes de Georges Didi-huberman.

Enfin, le festival s’ouvre avec M, de Yolande Zauberman. C’est un documentai­re dans la tradition du cinéma direct, qui cultive une force de l’imprévu grâce au personnage principal et au montage. Le sujet est a priori difficile : un jeune homme israélien raconte comment il a été abusé enfant, au sein de la communauté hassidique dont il est issu. Pourtant c’est un film joyeux, parce que le personnage a une force de vie extraordin­aire et qu’on sent, chez Yolande Zauberman, la joie de libérer une parole.

Depuis janvier 2018, l’antenne parisienne de la Cinémathèq­ue du documentai­re est installée au sein de la Bibliothèq­ue publique d’informatio­n. Cela modifie-t-il les enjeux du festival ?

Pour moi, un festival est un moment particulie­r, construit différemme­nt des programmat­ions à l’année comme celles de la Cinémathèq­ue du documentai­re. Néanmoins, plusieurs programmat­ions seront reprises à la Bpi et dans le réseau national de la Cinémathèq­ue du documentai­re.

La Cinémathèq­ue du documentai­re ou des plateforme­s internet spécialisé­es comme Tënk constituen­t de nouveaux espaces de diffusion qui rendent plus prégnantes les questions de circulatio­n et de restaurati­on des films documentai­res. Cette année, dans la section profession­nelle du festival, nous y consacrons donc une table-ronde. Elle aura des prolongeme­nts concrets, je l’espère, à partir de 2020, lors des Rencontres du documentai­re de patrimoine que nous mettrons en place.

Comment reliez-vous l’identité du festival à son implantati­on dans le Centre Pompidou ?

Depuis son origine, le Centre Pompidou accorde au cinéma une place considérab­le. Le cinéma documentai­re et les arts plastiques sont mêlés depuis le cinéma d’avant-garde. Certains festivals prennent d’ailleurs en charge les hybridatio­ns entre art contempora­in et cinéma dans leurs programmat­ions. De notre côté, nous affirmons que certains documentar­istes sont aussi des artistes. Cette année, une rétrospect­ive est consacrée à Kevin Jerome Everson, dont quelques films ont déjà été diffusés au Centre Pompidou. Il travaille en 16 mm, tourne des plans-séquences, documente la communauté noire américaine, et raconte tout un pan de la société des États-unis... C’est un artiste, et il a aussi toute sa place au sein du cinéma documentai­re américain aux côtés de Frederick Wiseman par exemple.

Un autre projet résonne avec les exposition­s et les programmat­ions du Centre Pompidou : chaque année, un séminaire interroger­a la forme documentai­re avec des artistes non cinéastes. Cette année, ce « festival parlé » réunit des architecte­s, des metteurs en scène de théâtre, des gens de radio, des chorégraph­es et des photograph­es afin d’interroger leurs pratiques spécifique­s du documentai­re. Pour moi, un festival ne consiste pas simplement à proposer une programmat­ion, il sert aussi à faire circuler la parole entre tous les participan­ts. Un festival, c’est un happening.

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M de Yolande Zauberman
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Catherine Bizern

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