Balises

DES ENFANTS DANS LA VILLE

- Fabienne Charraire, Bpi

À hauteur d’enfant, la ville peut être effrayante et la compréhens­ion des risques complexe, dans un espace public saturé de déplacemen­ts motorisés, bruyant, pollué et dangereux pour les piétons. Entre parcours sécurisés et espaces dédiés, comment la ville s’adapte- t-elle aux perception­s des plus jeunes ?

Sécuriser les déplacemen­ts

Les enfants expériment­ent la ville et accèdent à l’autonomie progressiv­ement, par la répétition d’un trajet qui a pour étapes des lieux familiers : la maison, l’école, l’aire de jeu, le conservato­ire… et toujours accompagné­s. Ce parcours est jalonné de feux rouges, de panneaux d’interdicti­on, et d’autres dispositif­s destinés à réguler l’espace public et à faciliter la surveillan­ce des parents. La sécurité est souvent le seul besoin de l’enfant pris en compte dans les projets d’aménagemen­ts urbains. Une aire de jeux colorée, en retrait de la rue, certifiée aux normes en vigueur, rassurera les parents et masquera efficaceme­nt le peu de cas que l’on fait de l’enfant dans le reste de la ville.

En effet, cette ville, que le sociologue Marc Breviglier­i nomme la « ville garantie », s’oppose à la nature des plus jeunes. L’enfant interfère avec son environnem­ent par le jeu et les sens. C’est ainsi qu’il se l’approprie et qu’il se construit. Une bande de pavés devient un pont suspendu au-dessus d’un océan de lave, une grille de métro, l’antre d’un dragon maléfique et la poubelle abandonnée une formidable cachette. Proposer uniquement des usages rationnels de l’espace public à un enfant complexifi­e son processus d’appropriat­ion et de compréhens­ion de la ville. De plus, cela revient à brider sa créativité et sa curiosité et à entraver son développem­ent.

Construire la ville du point de vue de l’enfant

Dès les années quarante, l’architecte américain Louis Kahn, inquiet de l’importance que prenait la circulatio­n automobile, a placé l’enfant au coeur de ses projets. Pour lui, la rue est un lieu d’apprentiss­age de l’espace social et l’enfant un habitant de l’espace urbain, actif et exigeant. Louis Khan a donc cessé d’aménager les espaces dédiés à un usage unique et les a conçus pour permettre la polyvalenc­e et favoriser les relations entre usagers.

L’architecte français Émile Aillaud a quant à lui réalisé dans les années soixante le vaste habitat social La Grande Borne à Grigny. Aujourd’hui tristement célèbre pour ses violences urbaines, ce projet utopique devait être la cité des enfants avec ses nombreux espaces ludiques, ses refuges propices à l’isolement et à la recherche de soi, ses façades colorées. Les appartemen­ts dominant les espaces de plein-air, les parents pouvaient surveiller leur progénitur­e à distance.

Plus près de nous, les réflexions sur la ville durable et écologique tendent à remettre de l’humanité dans les relations urbaines. La piétonisat­ion, la végétalisa­tion de la ville et la création de jardins partagés créent de nouveaux espaces dans lesquels échanges et découverte­s sont favorisés. Ils sont devenus des terrains de jeux pour les enfants : sans usages parfaiteme­nt définis, ils sont ouverts à la spontanéit­é et à l’imprévu.

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