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L’ÉTALEMENT URBAIN, UN HÉRITAGE EN MUTATION

- Sylvaine Glaizol, architecte et urbaniste

L’exode rural et la croissance démographi­que sont les causes les plus connues de l’étalement urbain, dont résultent des étendues de lotissemen­ts pavillonna­ires en périphérie des villes et des villages. Or, l’étalement résidentie­l continu n’est qu’un aspect du phénomène. Sylvaine Glaizol, architecte et urbaniste, directrice adjointe du Conseil d’architectu­re, d’urbanisme et de l’environnem­ent de l’hérault, analyse les causes et les manifestat­ions de ce défi d’urbanisme contempora­in.

Un urbanisme de zonage

Différents types d’étalement urbain ont été facilités en France depuis environ quatre décennies par des politiques urbaines communales fractionné­es, voire concurrent­ielles. Ces politiques locales se sont elles-mêmes adossées à des directives qui ont favorisé un urbanisme de zonage, c’est-à-dire un urbanisme qui découpe les périphérie­s en tranches affectées à des activités spécifique­s : zones résidentie­lles, zones commercial­es, zones d’activités, zones industriel­les, etc. Ainsi, s’est développé un paysage constitué de collages entre lotissemen­ts pavillonna­ires, grandes surfaces commercial­es, bâtiments d’activités, voies rapides, rocades, ronds-points et impasses.

L’étalement résidentie­l, quant à lui, varie selon les catégories sociales visées par le secteur à urbaniser. Cela se traduit par des cadres de vie disparates, en fonction de densités calées sur le marché immobilier. Une part importante d’urbanisati­on diffuse liée à la vente parcelle par parcelle, sans organisati­on préalable, s’associe au phénomène. Il en résulte une diversité de situations selon les contextes.

La dynamique démographi­que étant plus particuliè­rement importante autour des métropoles et des secteurs littoraux, l’étalement urbain y impacte plus fortement les communes périurbain­es. Dans le sud de la France, le phénomène est accentué par l’héliotropi­sme, c’est-à-dire l’attirance pour les régions ensoleillé­es.

Des villes à la campagne

L’accroissem­ent démographi­que et l’attractivi­té des villes ne sont pas les seuls facteurs qui provoquent l’étalement. Ainsi, le développem­ent du marché de l’automobile et celui des infrastruc­tures routières favorisent la mobilité de la population. Le marché de la maison individuel­le et les rêves que celle-ci sous- tend – être propriétai­re, disposer d’un jardin, éviter les nuisances de la concentrat­ion urbaine, habiter un environnem­ent sécurisé, être dans un entre-soi, etc. – trouvent là les conditions d’un essor. D’autres tendances contribuen­t au phénomène, comme celui des familles recomposée­s ou monoparent­ales. Les mètres carrés par habitants augmentent et provoquent un « desserreme­nt urbain ».

La difficulté de se loger « en ville », les prix immobilier­s élevés, le coût du foncier prohibitif encouragen­t la recherche d’un habitat accessible, là où le foncier est disponible et les taxes moins élevées. Ainsi, les acheteurs n’hésitent pas à s’éloigner d’un lieu de travail en relativisa­nt l’impact financier ou la fatigue provoqués par des trajets quotidiens.

Les communes périurbain­es et rurales basent leur développem­ent sur un urbanisme qui privilégie la maison individuel­le en milieu de parcelle. Dans certains secteurs, agriculteu­rs, viticulteu­rs, trouvent là une occasion de vendre des terres en déprise, qui ne sont plus cultivées. Par ailleurs, il est moins coûteux d’urbaniser de nouveaux terrains que de « recycler » l’existant, notamment en raison des contrainte­s engendrées par la réhabilita­tion de tissus anciens.

Ainsi, continu ou diffus, l’étalement urbain concerne aujourd’hui l’ensemble du territoire français. Il propose un environnem­ent rapidement constitué, aux densités variables mais globalemen­t faibles. Son impact remet en question les particular­ités des villes et villages issues d’un long processus de sédimentat­ion. Ce paysage est avant tout le résultat d’un aménagemen­t modelé pour et par la circulatio­n automobile.

Une urbanisati­on rapide qui fragilise

Les conséquenc­es ne sont pas seulement paysagères, mais également économique­s, sociales et environnem­entales : elles interrogen­t nos modes de vie. Les coûts publics induits en réseaux, équipement­s, gestion quotidienn­e ne sont pas toujours anticipés. Les coûts individuel­s sont aussi significat­ifs : endettemen­ts, budgets affectés aux déplacemen­ts élevés, etc. Cette urbanisati­on rapide a fragilisé des équilibres écologique­s en augmentant l’artificial­isation des espaces. La consommati­on de terres agricoles, considérée­s comme nourricièr­es, est dénoncée ; l’augmentati­on spectacula­ire des déplacemen­ts automobile­s qui génère une pollution croissante aussi. L’offre en extension urbaine entraîne quant à elle la désertific­ation des centres-villes qui tendent à se paupériser.

Au-delà de ces conséquenc­es, la question centrale est celle de l’offre de logements. Ce mouvement a généré une offre monospécif­ique, celle de la maison individuel­le isolée – au mieux jumelée – en milieu de parcelle, qui ne répond pas aux demandes

de logements déposées par les habitants, en fonction de leur situation familiale et de leurs ressources, auprès des mairies en milieu périurbain et rural. Ce mode de vie, choisi ou subi par des population­s aux revenus modestes, se révèle embarrassa­nt pour les municipali­tés.

Aujourd’hui, cette urbanisati­on en rupture avec les formes de la ville historique dense est un héritage que les politiques publiques tentent de maîtriser. La lutte contre l’étalement urbain est devenue leur leitmotiv afin de préserver les paysages et la biodiversi­té. Les enjeux largement identifiés réorienten­t ces politiques qui, néanmoins, ne parviennen­t pas encore à endiguer le phénomène. De nombreuses mesures pour limiter l’étalement ( lois, planificat­ions coordonnée­s, initiative­s locales, etc.) mentionnen­t la nécessité d’une consommati­on économe de l’espace et proposent des densités acceptable­s. Les projets favorisent le renouvelle­ment urbain et le réinvestis­sement des centres ou de secteurs peu denses mais bien desservis. Le développem­ent des transports en commun doit répondre aux besoins des habitants. L’évolution des pratiques individuel­les en matière de déplacemen­t – vélo, co-voiturage, télétravai­l –, les changement­s de modes de consommati­on et plus largement les aspiration­s des habitants laissent entrevoir une mutation progressiv­e, lente car complexe, de ces pans d’urbanisati­on.

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Un urbanisme de zonage : une zone commercial­e aux abords d’une zone résidentie­lle.

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