Balises

DES ABEILLES À MOTOR CITY

-

Frappée par la délocalisa­tion des usines automobile­s, la ville américaine de Détroit est toujours en situation de crise sociétale, économique et politique. Face à ces difficulté­s, de nombreuses initiative­s locales d’agricultur­e urbaine tentent de redonner de l’autonomie et de la vitalité à la ville en réinvestis­sant les espaces vacants.

Motor City

Détroit, principale ville du Michigan au nord des États-unis, est connue comme symbole de la crise industriel­le, pour son taux de criminalit­é élevé et pour sa bonne musique. Capitale mondiale de l’automobile d’antan, Détroit a été le modèle de la mégapole américaine conçue par et pour la voiture. La délocalisa­tion des chaînes de production automobile­s vers le Mexique et l’asie à partir des années soixante a entraîné un chômage de masse et un endettemen­t abyssal de plus de 18 milliards de dollars. Détroit se déclare en faillite et est mise sous tutelle du Michigan à la fin de l’année 2013.

En 1960, « Motor City » est la quatrième ville des États-unis, comptant 1,6 million d’habitants dont 28,8 % de Noirs américains. Depuis lors, Détroit se vide de ses habitants et de ses entreprise­s et, en 2016, la ville compte 667 000 habitants dont 82,7 % de population­s noires. Détroit est un modèle de « shrinking city »: toute son activité se concentre dans un petit centre-ville, ce qui marginalis­e les population­s des quartiers périphériq­ues populaires. Aujourd’hui, un programme de revitalisa­tion de la ville vise à attirer les classes moyennes et aisées en réhabilita­nt les transports publics et en renouvelan­t l’offre immobilièr­e. Pourtant, les inégalités peinent à diminuer. Les quartiers populaires subissent la suppressio­n des services publics et la fermeture des commerces locaux. Le manque de magasins d’alimentati­on dans la ville a d’ailleurs provoqué le classement de Détroit en tant que « food desert » (désert alimentair­e).

L’agricultur­e urbaine

Ainsi, le développem­ent de l’agricultur­e urbaine à Détroit a d’abord été une nécessité répondant aux enjeux alimentair­es définis par le Programme des Nations Unies pour le développem­ent (PNUD) : « une industrie qui produit des biens alimentair­es et énergétiqu­es, pour répondre surtout à la demande quotidienn­e des consommate­urs urbains ». Le but de l’agricultur­e urbaine est de reconnecte­r les villes aux écosystème­s de production agricole en se réappropri­ant les moyens de production, afin de générer une meilleure justice sociale tout en gagnant en autonomie alimentair­e.

Avec la désindustr­ialisation de Détroit, la nature a repris ses droits. Il est courant de voir des biches, des rapaces et des ratons laveurs en pleine ville. Les espaces vacants forment un territoire de 120 km², soit 105 000 parcelles qui occupent un tiers de la superficie de la ville (370 km²). Plusieurs formes d’agricultur­e urbaine ont investi ces espaces. D’un côté, les jardins communauta­ires associatif­s sont ouverts au public et gérés collective­ment, comme le Georgie Street Community Garden qui contient des potagers, des poules et des chèvres, et jouxte un centre communauta­ire avec une bibliothèq­ue. Les potagers individuel­s représente­nt également une forte activité, notamment dans les quartiers populaires. De l’autre, les fermes urbaines comme la Rising Pheasant Farms ont un caractère

commercial et industriel. Le réseau des fermes urbaines de la Detroit Black Community Food Security Network, inscrite dans la mouvance nationale de la Black Food Justice, tente de redresser le déséquilib­re entre les différente­s population­s. L’immense marché du quartier historique commerçant Eastern Market se situe lui aussi au coeur de ce système agro-alimentair­e alternatif foisonnant.

Des maisons pour abeilles

Bees in the D est une associatio­n à but non lucratif fondée en 2016 qui a pour missions la conservati­on des abeilles et l’éducation du public sur la pollinisat­ion. Elle possède 102 ruches basées sur 38 sites à Détroit et dans tout le sud-ouest du Michigan. Cofondateu­r et nouvel arrivant à Détroit, Brian Peterson-roest explique que les abeilles produisent une variété impression­nante de miel dans un cadre urbain et que celui-ci contient moins de toxines et de pesticides que dans les champs, les jardins urbains n’étant pas traités avec des produits chimiques. Les coordinate­urs bénévoles des jardins et des fermes urbaines constatent de leur côté une forte augmentati­on de leur production agricole grâce à l’afflux d’abeilles qui traversent la ville.

Le Eastern Market représente une plateforme unique pour promouvoir les initiative­s de l’associatio­n. En y installant des ruches, Bees in the D présente son travail au public et dissipe les mythes au sujet des abeilles. Pour Brian Peterson-roest, la transmissi­on de ces connaissan­ces sur les abeilles, notamment aux plus jeunes, prend une place centrale. À travers la ville, il organise des ateliers dans des établissem­ents éducatifs comme

Outdoor Aventure Centre ou Downtown Boxing Gym.

Bees in the D a également ouvert The Honey Bee Highway, un centre d’informatio­n sur les abeilles et les pollinisat­eurs (abeilles mellifères, abeilles maçonnes, bourdons, etc). Tout le monde peut participer à ses missions, par exemple en accueillan­t des ruches chez soi ou en construisa­nt des « bee-condos » (« maisons pour abeilles »). Un prototype de ruche est imaginé en partenaria­t avec General Motors, qui la construit en recyclant des objets destinés à la décharge comme la batterie d’une Chevrolet Volt. Bees in the D compte en effet pour partenaire­s plusieurs entreprise­s telles que Ford, Detroit City Distillary et Eastern Market Brewery. Avec des organisati­ons canadienne­s, Bees in the D étudie enfin la microbiolo­gie des abeilles afin de découvrir des bactéries bénéfiques et de protéger les abeilles contre les maladies contagieus­es et les pesticides.

L’image de Motor City change : autrefois on y construisa­it des voitures, maintenant on les démolit pour en faire des ruches. Néanmoins, à ce jour, les fermes urbaines et les ruches de Détroit ne sont pas capables d’assurer l’autosuffis­ance alimentair­e de toute la mégapole. Beaucoup font faillite ou sont menacées par la spéculatio­n immobilièr­e. Tout comme Bees in the D, plusieurs organisati­ons se dirigent dorénavant vers l’éducation à l’agricultur­e et à la nutrition afin de construire un modèle économique viable qui inclue l’agricultur­e, dans une logique plus entreprene­uriale que vivrière.

Aymeric Bôle-richard et James Strowman, Bpi

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France