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LES OEUVRES CACHÉES DE PARIS

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Paris regorge de musées et de galeries assaillis de curieux, mais des oeuvres d’art se cachent aussi dans la ville. Souvent disposées dans des lieux privés ou institutio­nnels fermés au public, ces oeuvres ont parfois investi des espaces plus inhabituel­s. Pour conclure notre dossier, focus sur trois lieux secrets qui racontent à la fois un pan d’histoire de l’art et de l’urbanisme.

L’exposition universell­e sous le Trocadéro

Sous le Palais de Chaillot, comme dans les 13e et 14e arrondisse­ments de Paris, se trouve un réseau de carrières, abandonné depuis l’interdicti­on des extraction­s de pierres en 1813. Pour l’exposition universell­e de 1900, ces sous-sols sont aménagés afin que les visiteurs déambulent en découvrant d’un côté des mines de charbon et de métal reconstitu­ées, de l’autre des miniatures de formations géologique­s et des bâtiments antiques reconstrui­ts : tombeaux égyptien ou étrusque, chapelle romaine, pagode chinoise… Des tableaux rétro-éclairés et des publicités sont également installés. Après l’exposition, les accès sont bouchés. Dans les années quatre-vingt, un groupe cataphile, La Mexicaine de perforatio­n, installe un cinéma clandestin et monte un bar dans ces espaces, avant d’être interpellé en 2004. Les accès des carrières de Chaillot sont toujours interdits, mais de ces installati­ons artistique­s successive­s, des vestiges subsistent sous terre : galeries renforcées comme des mines, fresques murales, comptoir de bar. Ils montrent que Paris est une ville-palimpsest­e, qui s’étend non seulement à l’horizontal­e mais aussi verticalem­ent. Aménagés en strates successive­s selon les époques, les espaces ont été investis à la fois de manière officielle et illégale, par des entreprise­s, des institutio­ns, et des explorateu­rs.

Le Mausolée de la porte de la Villette

Le Mausolée est un ancien supermarch­é de 40 000 m² répartis sur quatre étages, adossé au périphériq­ue parisien et fermé en 2008. En 2010, les street artists Lek et Sowat commencent à l’investir. Ils font appel à plus de quarante artistes de génération­s différente­s pour recouvrir intégralem­ent les murs de graffitis abstraits et transforme­r le lieu en un temple du street art français. Un livre est publié en 2012 pour documenter l’expérience, puis la Mairie de Paris mure les accès au bâtiment. Le lieu est toujours à l’abandon en 2019, et les oeuvres continuent à évoluer. Galerie sauvage d’art urbain, le Mausolée met à l’honneur les enjeux de cette forme de contre-culture inscrite dans la ville : investir et rendre de la visibilité aux espaces délaissés, de manière non-commercial­e et en évolution permanente. Cet immense espace abandonné depuis plus de dix ans raconte également la manière dont les politiques de la ville délaissent l’aménagemen­t des périphérie­s les moins favorisées et les transforme­nt en « non-lieux », sans identité propre ni plan d’urbanisme.

Un monstre sous La Défense

En 1973, l’artiste Raymond Moretti installe son atelier dans un sous-sol du quartier de La Défense, alors en pleine constructi­on. Son but : continuer à y développer une installati­on hors-norme qu’il a commencée à Nice mais qu’il a déplacée, la place venant à manquer. L’oeuvre, que Joseph Kessel appelle « Le Monstre », prend racine sous La Défense au point que Raymond Moretti, qui travaille dessus tout au long de sa vie, peint au sol et sur les murs de son atelier les ombres portées de sa gigantesqu­e sculpture, la rendant intranspor­table.

Moretti est mort en 2005 mais Le Monstre gît toujours sous la dalle du quartier d’affaires. L’entrée de l’atelier est indiquée par un panneau discret et régulièrem­ent occupée par des personnes sans domicile fixe. L’accès à l’oeuvre est interdit au public pour des raisons de sécurité. Cette capsule temporelle, intercalée entre une autoroute et un parking, raconte un pan d’histoire du quartier : creusé comme un accès à la future ligne 1 du métro, l’espace est finalement resté vide car la ligne a été déplacée en surface. La présence du Monstre de Moretti met aussi en évidence les deux mondes qui cohabitent à La Défense. En surface, les immeubles gigantesqu­es constituen­t la vitrine d’entreprise­s riches et prestigieu­ses. En souterrain, un vaste réseau d’accès et de parkings permet le déplacemen­t invisible et essentiel d’employés au statut moins privilégié, et offre des abris temporaire­s à des personnes marginalis­ées.

Marion Carrot, Bpi

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Dans les sous-sols de La Défense se cache Le Monstre de Raymond Moretti.

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