Balises

PENSER SOUS TOUTES SES FORMES

- Sébastien Gaudelus et Caroline Raynaud, Bpi

La pensée est-elle contrainte par les espaces dans lesquels elle se déploie ? Prend-elle la forme des objets qu’elle analyse ? Aurélie Mouton-rezzouk, Flore Garcin-marou et François Mairesse ont fait de ces questions un programme de recherche universita­ire, « Ces lieux où l’on pense », qui envisage les théâtres, musées et bibliothèq­ues comme des espaces permettant de stimuler une pensée singulière.

Aurélie Mouton-rezzouk et Flore Garcin-marou sont spécialisé­es en études théâtrales, la première s’intéresse également aux musées et la seconde dispose d’une formation en philosophi­e. François Mairesse est muséologue. Ensemble, ils ont l’intuition que les gestes impliqués par la fréquentat­ion d’institutio­ns comme les musées, les théâtres et les bibliothèq­ues influent sur la manière dont s’élabore une réflexion sur les objets qui y sont présentés. De quelle manière la pensée est-elle stimulée ou modelée par l’organisati­on spatiale et les offres – tant scénograph­iques, muséologiq­ues que bibliothéc­onomiques – des institutio­ns culturelle­s ? La question s’adresse à la fois au public qui fréquente des lieux culturels et à ceux qui y travaillen­t. Autre présupposé de cette réflexion : ce à quoi l’on pense, comment et pourquoi, est historique­ment défini et évolue dans le temps.

Où pense-t-on ?

Aurélie Mouton-rezzouk, Flore Garcin-marou et François Mairesse se demandent d’abord comment, dans les institutio­ns culturelle­s, une pensée singulière est aujourd’hui encouragée. Ils constatent de nombreux points de confluence entre théâtres, musées et bibliothèq­ues : tous ces espaces sont engagés, avec différents moyens, dans des propositio­ns de médiation culturelle­s (spectacles, lectures, conférence­s, ateliers, etc.) qui induisent une organisati­on et une réception collective.

Les théâtres proposent ainsi souvent, en plus des représenta­tions, des rencontres destinées à engager une réflexion sur l’art, la société et sa dimension politique. Les musées, eux, se définissen­t comme des lieux pour penser les discipline­s scientifiq­ues et artistique­s. Les bibliothèq­ues, enfin, sont des espaces de travail où s’élabore une réflexion individuel­le et où des échanges peuvent avoir lieu. L’existence d’espaces ouverts dédiés à l’émergence d’une pensée paraît fondamenta­le aux chercheurs.

Une collection de lieux

À travers des ateliers, à l’université mais aussi dans des institutio­ns partenaire­s, et des publicatio­ns, le groupe de travail « Ces lieux où l’on pense » affiche deux ambitions : d’une part, recueillir des données, depuis l’intention de départ d’une personne proposant un dispositif particulie­r (exposition, manifestat­ion, atelier…) jusqu’aux manières dont le public s’approprie cette propositio­n ; d’autre part, inventer et proposer de manière collective de nouvelles façons de faire, de nouveaux dispositif­s.

Un des premiers partenaire­s de la recherche est le musée Gadagne des arts de la marionnett­e à Lyon. Un travail de redéfiniti­on du parcours au sein des collection­s permanente­s du musée donne aux chercheurs l’occasion d’analyser la manière dont l’espace est construit pour engager une réflexion sur les objets particulie­rs qui sont exposés.

Lors d’un colloque en juin 2018, de nombreux contribute­urs ont également été appelés à présenter des lieux qui leur semblent propices au développem­ent d’une pensée singulière. En plus des institutio­ns comme les théâtres s’ajoutent de nouvelles propositio­ns : les spectacles eux-mêmes sont notamment envisagés comme des dispositif­s éphémères de déploiemen­t de la pensée. La Bibliothèq­ue publique d’informatio­n devient un lieu d’étude à compter du printemps 2018. Cette collaborat­ion débouche sur la mise en place d’un cycle de conférence­s axé sur les processus de création artistique.

La pensée comme performanc­e

La réflexion des chercheurs ne se veut pas abstraite. Bien au contraire, elle part d’une matière très concrète. Comment la création scénograph­ique émerge-t-elle à partir de l’espace d’un plateau de scène ? comment peut-on penser à la fois l’abstractio­n et l’épaisseur lorsqu’on est peintre ? Dans un musée historique, le processus d’exposition oblige à penser l’histoire dans un geste concret d’adresse aux visiteurs. Dans chaque situation, des espaces, des mots-clés, des gestes, des points d’attention, structuren­t la réflexion. Ils donnent à la pensée un cadre et des objets particulie­rs. À l’inverse, certains mots permettent d’engager une réflexion transversa­le sur des supports différents : par exemple, qu’est-ce que la dramaturgi­e, quand elle s’applique au théâtre, au cinéma, voire à la musique ou à un espace d’exposition ?

L’intricatio­n des perception­s, de l’émotion et de la réflexion est, pour François Mairesse, Aurélie Mouton-rezzouk et Flore GarcinMaro­u, ce qui permet à l’événement de pensée d’émerger. Dans le domaine artistique en particulie­r, l’émotion est le point de départ d’une pensée d’abord ténue qui peu à peu prend forme, se précise, se structure. Et l’émotion sera le point d’aboutissem­ent autour duquel le public pourra se retrouver et rencontrer l’artiste.

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