Balises

Le changement climatique, enjeu idéologiqu­e mondial, entretien avec Stéphane Foucart

- Propos recueillis par Marion Carrot, Bpi

Pourquoi certains dirigeants politiques contestent-ils la réalité du changement climatique, et quel impact ce scepticism­e a-t-il au niveau internatio­nal ? C’est ce qu’explique le journalist­e du Monde Stéphane Foucart, spécialist­e des sciences de l’environnem­ent. En quoi le changement climatique est-il, aujourd’hui, une théorie scientifiq­ue établie ?

Le lien entre quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et évolution du climat est connu puis le début du 20e siècle, notamment grâce aux travaux antérieurs de Joseph Fourier, John Tyndall et Svante Arrhenius. Or, dans les années cinquante, Roger Revelle et Charles Keeling démontrent que la teneur en dioxyde de carbone de l’atmosphère augmente. Ils s’en inquiètent et alertent des parlementa­ires américains. Cette crainte ne disparaît pas totalement des radars et, en 1979, l’administra­tion Carter commande un rapport à l’académie des sciences américaine. Le physicien de l’atmosphère Jule Charney et ses co-auteurs y confirment que l’ajout de gaz à effet de serre dans l’atmosphère fera monter la températur­e. À cette époque, contrairem­ent à aujourd’hui, cet effet n’est pas encore mesurable. Néanmoins, Charney préconise de prendre des mesures immédiates pour enrayer le phénomène, sous peine ne pas pouvoir lutter contre ses conséquenc­es. Mais rien n’est fait.

Il n’y a donc aucune question ni sur la réalité du changement climatique, ni sur la réalité de ses causes. Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat) est très clair sur ce point : seules les activités humaines sont responsabl­es du changement climatique. Il n’y a pas d’autres forces naturelles à l’oeuvre, ni le soleil, ni les rayons cosmiques, ni le dégazage de l’océan.

Pourtant, le climatosce­pticisme se développe chez certains responsabl­es politiques.

La majorité des personnali­tés politiques n’ont aucune formation scientifiq­ue. De plus, les responsabl­es politiques mettent en balance d’un côté un discours scientifiq­ue, et de l’autre des considérat­ions sur l’acceptabil­ité sociale de mesures de maintien de l’emploi, de la croissance économique… C’est une première voie de relativisa­tion du discours scientifiq­ue. En un sens, cela peut se comprendre, mais je crois qu’ils ne saisissent pas les implicatio­ns à long terme du phénomène en train d’advenir.

Par ailleurs, les sciences de l’environnem­ent ne s’intéressen­t qu’à des phénomènes induisant des risques individuel­s faibles et des risques collectifs importants, mais impercepti­bles pour une grande partie de la population. Dès lors, reconnaîtr­e le risque climatique, c’est aller contre le bon sens. Or, ce recours au bon sens individuel constitue un ressort majeur des populismes : « il a fait un peu plus chaud cet été, mais vous n’êtes pas mort, vous n’avez pas perdu votre emploi ni votre maison ». Pourtant, le changement climatique peut induire des dégradatio­ns sociales et fragiliser le tissu industriel au point de conduire à des phénomènes systémique­s beaucoup plus graves. C’est ce hiatus entre collectif et individuel, entre risque personnel et risque systémique, qui ouvre la porte aux discours populistes sur le climat.

Qu’est-ce que le carbo-fascisme ?

C’est une notion imaginée, à ma connaissan­ce, par l’historien des sciences et de l’environnem­ent JeanBaptis­te Fressoz. En creux, elle indique que la question environnem­entale devient un élément politique clivant, qui détermine une nouvelle forme de polarisati­on entre droite et gauche. Aujourd’hui, les journaux de droite dure comme Valeurs actuelles sont très sceptiques sur les questions d’environnem­ent. Le fascisme du 21e siècle ajoute le climatosce­pticisme à son corpus idéologiqu­e. Le

discours de l’extrême-droite européenne se reconfigur­e largement autour de cette question. La droite classique récupère une version atténuée des discours d’extrêmedro­ite, sur ces questions comme sur les autres. Je crois que le climatosce­pticisme et le carbo-fascisme sont les revers d’une même médaille. L’un rend l’autre possible. Mais le signe distinctif du carbo-fascisme d’état, tel qu’il existe au Brésil ou aux États-unis, réside dans le soutien apporté à l’activité extractric­e. Cela provient de la proximité du pouvoir politique avec les milieux d’affaire en général, et plus précisémen­t avec les industriel­s de l’extraction, qu’il s’agisse du pétrole, du gaz, des mines, ou de l’agroindust­rie, qui est une autre forme d’extraction.

Quel est l’impact du climatosce­pticisme sur les relations entre États ?

La communauté scientifiq­ue internatio­nale est unanime sur le changement climatique. Les rapports du GIEC sont les textes les plus consensuel­s jamais produits par l’humanité : les experts de tous les États de la planète les ont validés. Des engagement­s politiques ont également été pris par la communauté internatio­nale, dans le cadre de l’accord de Paris signé en décembre 2015.

C’est au niveau du commerce internatio­nal que le climatosce­pticisme de Jair Bolsonaro, de Donald Trump, ou d’autres, peut entraver la mise en place de solutions. Par exemple, les États-unis peuvent bloquer la régulation des émissions de gaz à effet de serre en s’opposant aux taxes carbone – c’est-à-dire au fait que le coût carbone d’une denrée soit répercuté à la frontière d’un pays, afin de favoriser le commerce de biens à faible empreinte carbone.

Une politique populiste est-elle forcément climatosce­ptique ?

Une chose est certaine : la baisse de la consommati­on matérielle, qui permet de faire face au problème climatique, n’est pas un discours politique porteur. Pourtant, si les flux d’énergie et de matière ne baissent pas, les émissions de carbone vont continuer. Il faut donc accepter de faire reculer la richesse matérielle telle qu’on la connait : la voiture, les mètres carrés d’habitation, le fait de voyager ou de manger de la viande. Et il faut le faire accepter à la population occidental­e, qui est la plus responsabl­e du réchauffem­ent climatique.

Un discours de gauche, que certains rattachent au populisme, s’est emparé de la question environnem­entale sous cet angle, au point de remettre en scène l’idée d’une planificat­ion économique au niveau de l’état. Certains ne sont pas d’accord et estiment qu’adapter l’économie de marché permettra de répondre au problème.

Quels exemples de climatosep­ticisme récents vous ont marqué ?

Cet été, la France a essuyé deux canicules et la Sibérie était en feu. Le mois de juin a été le plus chaud en Europe, à près de trois degrés au-dessus de la normale. Le mois de juillet a été le plus chaud jamais mesuré au niveau mondial, tous mois confondus. Au même moment, une polémique a enflé lors de la venue de Greta Thunberg à l’assemblée nationale. Des parlementa­ires ont protesté et boycotté. Leur réaction visait à détourner l’attention sur des problèmes qui n’en sont pas. Qualifier d’alarmistes ceux qui nous aiguillonn­ent sur cette question est pour moi un avatar du climatosce­pticisme. C’est peu dire que ce genre d’attitude est lamentable.

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