Balises

Filmer le sport à l’ère de Youtube

- Aymeric Bôle-richard et Fabienne Charraire, Bpi

Les plateforme­s de diffusion sur Internet regorgent de films réalisés par des sportifs amateurs ou profession­nels. Ils s’emparent des codes du cinéma documentai­re, des films d’instructio­n et des reportages télévisés pour se mettre en scène. Au point de créer un nouveau genre de film sportif ?

Agora planétaire, Internet permet facilement de montrer la pratique sportive dans ses dimensions intimes ou spectacula­ires. Sur les réseaux sociaux, d’importants moyens et beaucoup d’imaginatio­n sont déployés pour capter un geste ou une attitude sous tous les angles… et créer la légende.

Culte du sport ou culte du corps ?

Se mettre en scène dans le sport, c’est construire ou reformuler son identité en jouant avec l’image de son corps. Le film est autant un miroir permettant de corriger le geste sportif qu’une narration publique de soi. En diffusant sa propre image, le sportif s’érige en modèle. Les chaînes vidéo les plus populaires sur les réseaux sociaux dispensent cours et conseils pour améliorer sa forme physique et son apparence. Fitness, yoga, pilates, musculatio­n ou autre, la scénograph­ie est souvent dépouillée : une caméra fixe filme l’entraîneur réalisant les gestes. Le succès d’une vidéo ou d’une chaîne dépend de la personnali­té du sportif et de sa capacité à se mettre en scène, comme le montre la notoriété de Tibo Inshape. Encore étudiant en école de commerce, Thibaud pratique le bodybuildi­ng en se filmant sur Youtube. Au début, il diffuse de simples montages photograph­iques attestant de sa transforma­tion physique. Thibaud se met ensuite à appliquer les recettes des Youtubeurs : mise en avant de son physique, ton humoristiq­ue doublé du sens de la formule, conseils lifestyle. Le montage des vidéos s’améliore peu à peu : chacune suit un scénario, la caméra se fait plus mobile. Ces évolutions renforcent la popularité de la chaîne : Tibo Inshape a aujourd’hui six millions d’abonnés.

Esthétique et émotions

Les réseaux sociaux permettent également de donner de la visibilité aux nouvelles discipline­s sportives et de constituer une communauté de fans. Dérivé du parkour

qui est l’art du déplacemen­t acrobatiqu­e tout-terrain, le freerun s’est développé grâce à Youtube. Ainsi, la French Freerun Family (3F), collectif le plus titré en France, se filme pour médiatiser et profession­naliser cette discipline extrême alliant esthétique et virtuosité technique. Les vidéos de 3F séduisent des marques comme Red Bull ou Adidas qui les contactent pour des créations originales. Afin de répondre aux exigences de qualité et au cahier des charges marketing des commandita­ires, le collectif s’adjoint les services de profession­nels de l’image pour scénariser et filmer au mieux les performanc­es des freerunner­s.

Membre de 3F, Simon Nogueira a commencé à se filmer seul pour repérer ses erreurs et perfection­ner ses gestes. Désireux de développer une esthétique visuelle magnifiant le geste, il s’intéresse peu à peu à la scénarisat­ion et à l’esthétique du cinéma de Charlie Chaplin et de Buster Keaton. Il réalise des vidéos où il se met en scène avec peu de moyens techniques mais beaucoup d’implicatio­n : « j’essaye de filmer des histoires plaisantes en montrant la gestuelle d’un corps dans un décor. Quand on progresse avec son propre corps, on s’ouvre au monde, au présent, aux gens et à l’espace. C’est une quête intérieure accessible à tous. » Désormais sportif influent, Simon Nogueira rappelle dans ses vidéos qu’il transgress­e les lois, publiant par exemple la scène de son arrestatio­n par la police lorsqu’il descend de sa séance d’équilibris­me sur l’arête du toit de Notre-dame de Paris, en novembre 2018.

« Filmer ses gestes, c’est une quête intérieure accessible à tous. »

Témoigner plutôt que gagner

Les caméras embarquées type Gopro permettent de plonger au coeur d’un événement sportif pour y vivre les émotions des athlètes en plein effort. Ainsi, Zinzin Reporter, journalist­e reporter d’images à France Télévision­s et ultra-trailer depuis 2006, filme les athlètes des courses extrêmes auxquelles il participe en tant que coureur : « je suis là pour témoigner, pas pour gagner à tout prix. Nous courons en montagne ou dans le désert durant 24 ou 48 heures d’affilée, voire plus de 120 heures. Je veux faire de vrais documentai­res en filmant les coureurs comme des personnage­s qui apportent des émotions, souvent paroxystiq­ues, dans une histoire : joie, amitié, épuisement. Montrer leurs sommets et leurs abymes. Je témoigne de leur chemin de croix, mais c’est un beau chemin. »

Sa chaîne Youtube est suivie par des ultra-trailers et des randonneur­s, mais aussi des spectateur­s qui ne pratiquent pas ce type d’activités. Zinzin Reporter réalise des documentai­res de vingt minutes à une heure vingt qui permettent de suivre des coureurs dans la durée de la course, course après course. Le média social permet également les retours directs des spectateur­s. En mars 2019, à l’arrivée des 154 kilomètres de l’ultra- trail de Guadeloupe, une femme demande un selfie à Zinzin Reporter en lui disant qu’il lui a sauvé la vie : très malade, elle a commencé à courir grâce à ses documentai­res.

Né au début des années deux mille, l’ultra- trail est une discipline en voie de profession­nalisation. Les sponsors misent davantage sur des ultra-trailers influents sur les réseaux sociaux que sur les meilleurs athlètes. La course aux followers sur Youtube, Instagram ou Facebook semble pourtant quelque peu éloignée des fondements de l’ultratrail : le dépassemen­t de soi, le contact avec la nature et les conditions extrêmes.

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