Balises

« Chacun met dans la course ses propres valeurs », entretien avec Pierre Morath

- Propos recueillis par Camille Delon, Bpi

Pierre Morath est un ancien athlète de haut niveau. Après une blessure qui le contraint à arrêter la compétitio­n, il devient documentar­iste. En 2016, il réalise Free to Run, qui retrace l’histoire de la course à pied à travers le parcours de grandes figures pionnières. Comment est né Free to Run ?

En 2002, alors que j’effectuais des recherches pour un livre, j’ai découvert le parcours de quatre sportifs d’exception : Noël Tamini, Kathrin Switzer, Steve Prefontain­e et Fred Lebow. Leurs revendicat­ions au sein de la course à pied reflétaien­t les révolution­s sociales et la transforma­tion des mentalités en Europe et aux États-unis à partir de la fin des années soixante. J’ai eu envie de raconter leur histoire.

Pourquoi était-il important de parler de la place des femmes dans la course à pied ?

Le sport est un miroir de la société et l’histoire des femmes dans la course en est la parfaite démonstrat­ion. Le parallèle est net entre leurs luttes pour leur émancipati­on et les combats menés pour l’égalité au sein de la discipline. Ma rencontre avec Kathrin Switzer a été déterminan­te. Switzer a été la première femme à courir un marathon – celui de Boston en 1967 – avec un dossard, qu’elle a obtenu en dissimulan­t son identité, puisque cette course était réservée aux hommes. L’organisate­ur, qui a remarqué sa présence sur le parcours, a tenté physiqueme­nt de l’expulser. Cet événement a déclenché chez elle une révolution intérieure qu’elle a mise au service des autres sportifs. C’est grâce à sa déterminat­ion que les femmes ont pu participer pour la première fois à l’épreuve du marathon lors des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.

Qu’avez-vous appris sur la course en réalisant ce film ?

Pendant ma carrière de sportif, j’étais loin d’imaginer ce que recouvrait l’histoire de la course à pied. J’ai beaucoup appris de mes personnage­s et de leurs révoltes, par exemple le combat des athlètes de haut niveau pour se faire reconnaîtr­e en tant que profession­nels ou encore la naissance des grandes courses populaires comme le marathon de New York.

Mais surtout, j’ai redécouver­t la poésie qu’inspire la pratique de la course à pied à travers les valeurs portées par la revue Spiridon entre 1972 et 1989 : la recherche d’une harmonie avec la nature, le plaisir de se dépasser, le bien-être.

Quel est votre regard sur la course à pied aujourd’hui ?

Je suis assez critique. La foire commercial­e qu’est devenu un marathon ne correspond plus aux valeurs d’origine. Les frais d’inscriptio­n exorbitant­s, l’hyper présence des sponsors, l’aberration écologique que représente le fait d’aller courir un marathon à l’autre bout du monde, tout cela pose question.

D’un autre côté, deux tiers des coureurs ne font jamais de compétitio­n. Beaucoup d’entre eux aiment courir dans la nature vêtus d’un vieux teeshirt et continuent à cultiver l’esprit Spiridon. Chacun peut mettre dans la course les valeurs qui lui sont propres.

 ??  ?? Steve Prefontain­e, 29 mai 1975, vainqueur du 5 000 mètres au stade Hayward Field, à Eugene, Oregon, la veille de sa mort dans un accident de voiture.
Steve Prefontain­e, 29 mai 1975, vainqueur du 5 000 mètres au stade Hayward Field, à Eugene, Oregon, la veille de sa mort dans un accident de voiture.

Newspapers in French

Newspapers from France