« Le droit de la nature considère l’interdépendance entre humains et non-humains ». Entretien avec Marine Calmet
Marine Calmet, juriste spécialisée en droit de l’environnement et présidente de l’association Wild Legal, milite pour faire reconnaître les droits de la nature. Elle nous explique en quoi le droit peut contribuer à établir un nouveau rapport au vivant et à protéger notre planète.
Qu’apporte l’idée de « droit de la nature » et en quoi ce droit diffère-t-il du « droit de l’environnement » ? Le droit de l’environnement est très sectorisé, avec des lois qui limitent l’usage qui peut être fait de l’eau, des soussols, des plantes, etc. C’est un droit qui relève souvent d’une conception anthropocentrée de la nature : les entités naturelles sont protégées partiellement et seulement en raison de leur utilité pour les humains ou pour leur valeur monétaire.
Le droit de la nature prend en considération le lien d’interdépendance entre les humains et les non-humains. Les humains sont dépendants de leur écosystème, il faut donc protéger l’environnement en donnant aux entités naturelles des droits similaires aux humains à vivre et à perdurer.
Est-ce une idée nouvelle ?
Historiquement, de nombreuses cultures ont reconnu des droits aux entités naturelles. Le respect de la Te Urewera, la Pachamama, est présent chez les sociétés premières d’amérique du Sud. En Afrique du Nord, l’eau était gérée de manière commune en veillant à la durabilité. En Europe du Nord, les territoires pour l’agriculture et l’élevage ont longtemps été administrés et protégés collectivement. On a cessé de reconnaître des droits à la nature assez tardivement dans l’histoire humaine : d’abord avec le mouvement des enclosures, c’est-à-dire l’appropriation privée des terres, puis avec l’industrialisation.
Ces questions ont fait leur retour dans les années soixantedix. Le juriste Christopher Stone, en s’opposant à un projet de la compagnie Disney qui nécessitait de raser une forêt de séquoias, s’est interrogé sur la possibilité pour des arbres d’être aussi des sujets de droit. À partir de là, la question de la valeur intrinsèque des éléments naturels et de la reconnaissance de leurs droits s’est posée de nouveau.
Quels sont aujourd’hui les droits reconnus aux entités naturelles ?
Il y a de nombreux exemples. En 2008, l’équateur a inscrit les droits de la nature dans sa constitution. En 2010, la Bolivie a voté une loi sur « les droits de la Terre Nourricière ». Les exemples de reconnaissance de droits à des entités naturelles se multiplient également. En 2014, la Nouvelle-zélande a reconnu que le parc national de Te Urewara disposait d’une personnalité juridique. Ses droits sont garantis et défendus en cotutelle par l’état et par les peuples maoris qui considèrent qu’ils ont un lien de filiation avec la nature.
L’une des dernières réussites majeures, c’est la reconnaissance
des droits de la forêt amazonienne de Colombie. Au départ, de jeunes colombiens ont attaqué en justice l’état de Colombie car la déforestation s’accélérait alors que l’état s’était engagé à la réduire en signant l’accord de Paris. En avril 2018, la Cour suprême de Colombie a reconnu la forêt d’amazonie colombienne comme un « sujet de droit » que l’état a le devoir de protéger, d’entretenir, de restaurer. Cela a obligé l’état à mettre en place un plan d’action pour lutter contre la déforestation.
En revanche, la déforestation et les incendies dans la forêt amazonienne au Brésil durant l’été 2019 ont montré que la communauté internationale ne dispose d’aucun outil juridique adapté. C’est pourquoi la juriste Valérie Cabanes tente de faire reconnaître le crime d’écocide par la Cour pénale internationale. La demande a été faite officiellement l’année dernière par le Vanuatu. Cela nécessite de modifier les statuts de la CPI, ce qui ne se fera pas sans de longues négociations auprès de tous les États membres.
Le droit est-il un levier plus efficace que la politique pour faire avancer la cause écologique ?
Les juristes peuvent faire évoluer la lecture du droit, en essayant d’obtenir des jurisprudences qui prennent en compte une nouvelle vision des problèmes écologiques, centrée sur le vivant et non sur les seuls intérêts humains ou sur les intérêts économiques.
Mais nous travaillons aussi sur l’écriture du droit en intervenant sur des propositions de lois ou en proposant d’introduire la question écologique dans la constitution. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu, le 31 janvier 2020, une valeur constitutionnelle à la protection de l’environnement. Pour que les droits de la nature soient inscrits dans notre corps juridique, il faut donc que la politique se préoccupe de ces questions.
L’association Wild Legal que je préside lutte aujourd’hui pour qu’un organisme soit dédié, en France, à l’évaluation des activités humaines en appliquant le concept des « limites planétaires ». Ces limites correspondent aux équilibres biologiques de la terre à divers niveaux : les émissions de gaz à effet de serre, la disparition de la biodiversité, la transformation de l’usage des sols, les captations en eau potable... L’enjeu est d’analyser la viabilité des activités humaines au regard du bon fonctionnement des écosystèmes. Le Ministère de l’écologie emprunte cette voie dans son dernier rapport sur l’état de l’environnement. Il s’appuie sur les limites planétaires et conclut à un large dépassement de celles-ci. C’est un premier pas...