13th : un amendement contre la liberté
les états-unis, qui comptent 5% de la population mondiale, abritent 20 % des prisonniers de la planète (2,14 millions sur 10,35 millions en 2016). dans le pays, les hommes noirs représentent 13% des habitants, mais 40% de la population carcérale. les constats égrenés dans 13th, documentaire d’ava duvernay, réalisatrice de Selma (2015), sur les racines idéologiques suprémacistes de l’amérique donnent le tournis. le film retrace la chronologie des politiques ayant mené à l’incarcération exponentielle des noirs aux états-unis. Le titre fait référence au treizième amendement de la Constitution qui abolit l’esclavage « si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment condamné ». Cette brèche entraînera des décennies d’injustices raciales et de violations des Droits de l’homme dans la société et sur le sol américains. À partir de 1865, les 4 millions d’esclaves jadis réduits à l’état de propriétés deviennent libres et le système de production sudiste s’effondre. Rapidement dans la culture populaire et notamment au cinéma, le stéréotype du criminel noir remplace la figure de l’esclave. Dans le film Naissance d’une nation (David W. Griffith, 1915), qui a non seulement marqué l’histoire du cinéma, mais aussi celle des ÉtatsUnis, les personnages noirs sont présentés comme des prédateurs sexuels, les anciens propriétaires d’esclaves telles les victimes de ces voyous avides de revanche et les membres du Ku Klux Klan comme de nobles justiciers. Ces représentations marquent durablement et profondément la société. Après la guerre de Sécession (1861-1865), les anciens esclaves sont arrêtés massivement pour des infractions mineures, tel le vagabondage. Un système d’exploitation du travail des prisonniers se met en place pour relancer l’économie sudiste. Cette dynamique se poursuit de nos jours. Plus de 150 centres de détention américains sont gérés par des sociétés privées, et l’exploitation du travail des détenus y est la norme. La Corrections Corporation of America et la G4S, les deux compagnies dominant le marché des prisons privées, sous-traitent le travail des détenus aux plus grandes sociétés américaines. À travers le pays, près d’un million de prisonniers fabriquent des composants électroniques, des meubles, des vêtements, travaillent dans des champs ou des abattoirs, pour un salaire journalier compris entre 93 cents et 6,90 dollars (le revenu minimum est de 7,25 dollars de l’heure). L’importance de cette économie carcérale – et des lobbies qui la soutiennent – explique l’augmentation de 705 % de la population carcérale entre 1973 et 2010. La « guerre contre la drogue » lancée par le président Ronald Reagan (1981-1989), dans laquelle le trafic et la détention de crack ont été bien plus lourdement sanctionnés que ceux visant le commerce de cocaïne, est à l'origine de ce boom, de la destruction du tissu social des quartiers afro-américains et du renforcement des inégalités sociales et ethniques dans le pays. Bill Clinton (1993-2001) a également une responsabilité dans l’explosion du nombre de détenus en ayant notamment mis en place la règle des « Three Strikes », selon laquelle un individu condamné pour une troisième fois se voit infliger une peine allant de vingt ans de prison à la détention à vie sans liberté conditionnelle. Avec 666 détenus pour 100 000 habitants en 2016, les États-Unis ont le plus fort taux d’emprisonnement au monde (pour des données, on peut consulter : www.prisonstudies. org/). Si celui des Afro-Américains y a diminué de 20% entre 2001 et 2014, les inégalités de traitement par les autorités selon la couleur de peau, révélées par les différentes bavures policières et la naissance, en 2013, du mouvement Black Lives Matter, restent dans l’Amérique de Donald Trump un enjeu brûlant.