3 500 ANS D’HISTOIRE AU CARREFOUR DU MONDE
Ils fascinent dès la plus tendre enfance, et jusqu’au cinéma. Malgré les découvertes et leur médiatisation, les pharaons d’Égypte gardent leurs mystères, laissant aux archéologues un travail important pour comprendre et expliquer le fonctionnement politique et économique de trente-cinq siècles d’un pouvoir unique et au carrefour de plusieurs mondes. Loin des clichés, quels étaient les modes de gouvernance des pharaons ? Leurs places commerciales ? Comment un empire si puissant et résistant a-t-il pu céder au seuil du Moyen Âge ? Autant de questions auxquelles ce dossier tente de répondre.
Le projet politique d’unir la Haute eet la Basse-Égypte vit le jour à la fin du IV millénaire avant Jésus-Christ. Il marque l’aboutissement d’un processus séculaire de concentration du pouvoir et des richesses entamé aux alentours de 3500 av. J.-C. avec l’apparition de petits royaumes le long de la basse vallée du Nil (cf. carte 1). Vers 3150 av. J.-C., les rois de la ville d’Abydos, en Haute-Égypte, revendiquèrent le contrôle de la partie nord du pays. Loin d’être un feu de paille, ce projet donna naissance au royaume d’Égypte. La monarchie pharaonique, qui se trouvait à la tête de cet État, constitue donc l’une des plus anciennes entités politiques connues et, en même temps, celle dont la longévité fut la plus importante de l’histoire de l’humanité. Faisant corps avec la terre d’Égypte, les invasions répétées que connut le pays au Ier millénaire av. J.-C. – Napatéens, Assyriens, mais surtout Perses, Macédoniens et Romains se succédèrent sur les rives du Nil – ne mirent pas un terme à son histoire. Darius Ier (550-486 av. J.-C.), Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) et Auguste (63 av. J.-C.-14) se glissèrent ainsi dans les habits des pharaons, rendirent hommage aux dieux d’Égypte et se conformèrent aux canons de l’iconographie pharaonique, transcrivant sur les murs des temples et des monuments leurs noms en écriture hiéroglyphique. Ce n’est ainsi qu’au IVe siècle de notre ère, avec la conversion de Constantin (272-337) que disparurent les dernières images des empereurs pharaons. Devenu chrétien, le souverain ne souhaitait plus que son image et son nom soient associés à des cultes considérés comme païens. La décision de Constantin porta l’ultime estocade à une idéologie pharaonique moribonde. Dans l’Égypte des IIIe et IVe siècles apr. J.-C., les hommes étaient de moins en moins nombreux à comprendre les anciens symboles. Ce n’était qu’au sein des familles sacerdotales égyptiennes que ces derniers avaient conservé quelque signification. Entre la naissance, au sortir du néolithique, et la mort, au seuil du Moyen Âge, du pouvoir pharaonique, trente-cinq siècles se sont écoulés. L’égyptologie a coutume de les découper en trois « Empires » (Ancien, Moyen, Nouvel) entre lesquels s’intercalent trois périodes intermédiaires (Première, Seconde, Troisième). Le déclin commence avec sur la période désignée comme la « Basse-Époque » (de la fin du VIIe siècle av. J.-C. à l’arrivée d’Alexandre en 332 av. J.-C.), marquée par un affaiblissement significatif de la puissance égyptienne. Proposé au milieu du XIXe siècle par le grand égyptologue allemand Karl Lepsius (1810-1884), ce découpage chronologique offre une lecture cyclique de l’histoire égyptienne. Les trois phases unitaires, où l’ensemble du pays apparaît dominé par une seule autorité, présentent en réalité de grandes disparités entre elles, à commencer par un
Entre la naissance, au sortir du néolithique, et la mort, au seuil du Moyen Âge, du pouvoir pharaonique, trente-cinq siècles se sont écoulés.
positionnement géostratégique très différent d’une période à l’autre : si toutes ces monarchies sont bel et bien égyptiennes, chacune s’est inscrite dans une géographie qui lui était propre.
UN ÉTAT NÉ DANS UN CORRIDOR
Situé, à l’origine, en Haute-Égypte, le coeur de la monarchie migra au début du IIIe millénaire av. J.-C. vers le nord pour s’établir à l’apex du delta du Nil, sur le site de la ville de Memphis (cf. carte 2). Là se trouvait vraisemblablement le siège d’un petit royaume désormais soumis à l’autorité des pharaons. Placé à la croisée du grand fleuve et du delta, Memphis permettait d’exploiter au mieux les potentialités exceptionnelles offertes par la singularité de la géographie égyptienne. Il n’est que d’ouvrir un atlas pour se saisir de celle-ci. À cheval entre l’Afrique et l’Asie, à la charnière de la Méditerranée et de l’océan Indien, la basse vallée du Nil était le principal carrefour du Vieux Monde, unissant les deux plus vastes continents : l’Afrique et l’Asie. Difficile de trouver un territoire disposant d’une situation équivalente ailleurs sur la planète, à l’exception, peut-être, de celui du royaume olmèque (1200-500 av. J.-C.), dans le sud du Mexique. Comme l’Égypte, l’État olmèque se développa à la croisée de deux continents, les deux Amériques, et de deux espaces maritimes, le golfe du Mexique et le Pacifique. On observera que, dans les deux cas, ce type de situation géographique a favorisé l’émergence précoce de sociétés et de formes politiques complexes. À ces points communs s’ajoute une autre similitude. Les deux royaumes se sont développés au sein de couloirs : l’isthme de Tehuantepec et la vallée du Nil. Ainsi, dans les deux cas, ces monarchies précoces se nichèrent dans des goulots reliant continents et océans. Nul doute que cette situation, qui permettait de contrôler et de ponctionner les groupes de passage, pasteurs et marchands, joua un rôle essentiel dans la consolidation politique et économique de ces premiers États. Ainsi, une analyse géographique de l’histoire de l’Égypte pharaonique permet de relativiser l’importance des faits liés à la sédentarité – l’agriculture, les villes et les villages – au profit de ceux rattachés à la mobilité – le pastoralisme, le commerce au loin et les routes – pour rendre compte de la naissance de sociétés complexes. Dans ce contexte, l’assèchement progressif du Sahara au cours du IVe millénaire av. J.-C. joua, dans le processus d’émergence de l’État pharaonique, le rôle d’un catalyseur. D’abord, en forçant les populations mobiles qui peuplaient la savane saharienne à s’installer sur les bords du Nil, l’aridification du Sahara imposa un accroissement, certainement significatif, des habitants des villages nilotiques. De manière tout aussi fondamentale, le tarissement des ouadis et des lacs sahariens fit de la vallée du Nil le seul passage reliant le Sahel nubien et la Méditerranée constamment pourvu en eau. La naissance du Sahara obligea à la fois à une concentration et à une simplification des itinéraires pastoraux. Les éleveurs de bovins africains et d’ovins du Levant se voyaient ainsi contraints de privilégier la voie du Nil pour assurer à leurs bêtes le fourrage et la boisson. Installé à Memphis, l’État pharaonique était donc en position, dès le début du IIIe millénaire av. J.-C., de ponctionner les différents groupes de bergers et de bouviers qui traversaient son territoire avec des troupeaux qui pouvaient compter des milliers de têtes.
DES RICHESSES MOBILES
Parmi les richesses pastorales que prélevaient les agents des pharaons se trouvaient, évidemment, des animaux : boeufs, vaches, moutons et chèvres étaient ainsi dirigés vers les élevages ou les abattoirs royaux. Mais, outre les animaux qu’ils élevaient, les pasteurs transportaient jusqu’à la vallée du Nil certaines matières premières indispensables à la bonne marche de l’État pharaonique et au prestige de ses élites (cf. carte 3). Parmi celles-ci, les métaux, tout particulièrement le cuivre et l’or. Indispensable à la métallurgie au IIIe millénaire av. J.-C., le premier était rare en Égypte, mais se trouvait dans le Sinaï et au sud du Levant. Pour s’en procurer, les pharaons lancèrent de coûteuses expéditions. Leurs hommes pouvaient ainsi traverser le golfe de Suez en bateau depuis la côte égyptienne, mais aussi, plus simplement, obliger les nomades levantins qui souhaitaient profiter des pâturages du delta à s’acquitter d’une redevance en minerai de cuivre. Au IIe millénaire av. J.-C., la nécessité de disposer d’étain pour fabriquer du bronze imposa de complexifier encore les circuits d’approvisionnement. L’étain était, en effet, extrait des confins iraniens et afghans. Le précieux métal empruntait alors des routes qui descendaient du plateau iranien, traversait la Mésopotamie pour rejoindre ensuite la côte du Levant. L’itinéraire n’était pas neuf. C’était celui qui, depuis la fin du IVe millénaire av. J.-C., était emprunté par le lapis-lazuli, pierre bleue semi-précieuse dont les élites égyptiennes étaient friandes. Alors que le cuivre et l’étain entraient par le nord du royaume, au sud, des montagnes du désert oriental d’Égypte et de Nubie, arrivait l’or minier ou alluvionnaire. Ici encore, comme le cuivre, les pharaons avaient la possibilité de lancer des expéditions en direction des régions aurifères pour extraire ou collecter le précieux métal. Comme pour le cuivre, ils pouvaient plus simplement se procurer de l’or en négociant avec les groupes d’éleveurs d’ovins ou de caprins qui passaient l’hiver dans les montagnes aurifères où leurs animaux profitaient de la végétation des ouadis tandis
que leurs maîtres se livraient à l’orpaillage ou à l’extraction du précieux métal. Au début du IIe millénaire av. J.-C., durant le Moyen Empire des égyptologues, les pharaons s’avancèrent en Basse-Nubie et bâtirent là de puissantes forteresses/comptoirs. Ces ensembles fortifiés massifs étaient voués à accueillir les caravanes transportant de l’or, qu’elles aient été commandées par des agents royaux ou composées de pasteurs nomades. Au pied des remparts s’édifièrent de véritables villes où s’installèrent des négociants, mais aussi des membres de garnisons égyptiennes implantées sur ces sites. La lourdeur du dispositif militaire égyptien dans cette région s’explique certainement par la présence, un peu plus au sud, du puissant royaume nubien de Kerma (cf. carte 4). Peu connu du grand public, le coeur de cet État africain se situait à proximité du site soudanais de Doukki Gel, autour de Kerma. Là se dressait une vaste cité organisée autour d’un grand temple en brique crue désigné de nos jours comme la « Deffufa ». Faute de document écrit, nous ne savons que peu de choses de la structure politique du royaume de Kerma. Le pouvoir semblait être aux mains d’une oligarchie princière détentrice de troupeaux composés de milliers de bovins. Même si nous manquons d’éléments à ce sujet, il est très probable que les pharaons aient trouvé auprès des princes nubiens des concurrents, eux aussi, avides d’accaparer l’or de Nubie.
LE COMMERCE POUR COMPENSER LA PÉNURIE DES RESSOURCES
Le cuivre et l’étain venant d’Asie, l’or d’Afrique, la situation de l’espace égyptien, au carrefour de différents espaces mondes, permettait finalement de compenser les carences du soussol du royaume en ressources métalliques.
Cette lacune n’était toutefois pas la plus grave dont souffraient les Égyptiens. L’oasis d’Égypte n’offrait, en effet, qu’une biodiversité, notamment végétale, très réduite. Le pays manquait cruellement de bois d’oeuvre. Les acacias et les tamaris qui poussaient dans les ouadis ou sur les bords du Nil ne donnaient que difficilement les longues poutres et les planches permettant la réalisation de grandes charpentes et, plus encore, de navires. Nous tenons là l’un des traits les plus paradoxaux du lien existant entre l’environnement égyptien et les besoins liés à la géographie du royaume : organisée le long du corridor nilotique, l’Égypte ne disposait que de moyens très limités pour bâtir une flotte fluviale et, plus encore, maritime. Au niveau local, dans les villes et les villages, les pêcheurs et les paysans égyptiens suppléaient à ce manque en confectionnant de petites embarcations en tiges de papyrus nouées entre elles. La situation était toute différente pour les grandes institutions, la Couronne et les grands temples, qui avaient besoin de grands navires de charge ou de guerre. Pour cela, les pharaons s’approvisionnaient en bois d’oeuvre auprès des États du Levant, à Chypre et au sud de la Turquie actuelle. On pense évidemment aux cèdres du Liban, mais on oublie trop souvent que l’on importait en Égypte des essences bien moins prestigieuses et plus faciles à travailler comme les pins méditerranéens, au premier chef desquels se trouvait celui d’Alep.
LE PREMIER EMPIRE INTERCONTINENTAL DE L’HISTOIRE
Ainsi, l’or extrait dans les montagnes du désert oriental d’Égypte et de Nubie constituait la monnaie d’échange qui permettait aux Égyptiens de se procurer non seulement les métaux, mais aussi le bois du Levant. Cette dynamique née du tiraillement même qui déchirait l’Égypte entre l’Asie et l’Afrique contribua à faire du royaume un centre d’échanges intenses. Du commerce à la guerre, il n’y a parfois qu’un pas. Précédemment, nous avons vu que les Égyptiens avaient, dans les premiers siècles du IIe millénaire av. J.-C., pris le parti d’installer un réseau de forteresses en Basse-Nubie. À partir du milieu de ce millénaire, une lignée originaire de Thèbes entreprit la conquête de la région, détruisant le royaume de Kerma. Non contents de s’emparer des pays situés au sud de leur territoire, les Thébains lancèrent aussi la guerre contre le royaume dit des Hyksos, qui étaient à cheval entre le Delta oriental et la Palestine. La mémoire politique a retenu le nom du roi Ahmosis (1550-1525 av. J.-C.) comme celui d’Avaris, la capitale des Hyksos. Avec cette conquête, les Thébains, hommes du sud, entraient dans le jeu méditerranéen et levantin. Thoutmosis III (1479-1425 av. J.-C.), héritier des traditions expansionnistes thébaines, poursuivit cette politique de conquête en Asie comme en Afrique, établissant le premier empire intercontinental de l’histoire. Jamais la domination pharaonique ne s’étendit
plus loin : du coeur de l’actuel Soudan jusqu’au nord du Liban (cf. carte 5 p. 18). Le roi poussa même jusqu’à Karkémish, sur l’Euphrate, à la frontière entre la Turquie et la Syrie. Durant deux siècles, les XVe et XIVe siècles av. J.-C., l’Empire thoutmoside tira de ses provinces d’immenses quantités de richesse. C’est à la faveur de cette période que furent construits le coeur monumental de l’actuel temple de Karnak, les tombes de la vallée des Rois et constitués les formidables mobiliers funéraires royaux, dont la tombe de Toutankhamon (1336-1327 av. J.-C.) nous donne un aperçu. Sous l’effet de l’importance prise par les affaires du Levant au sein de la politique impériale, le coeur du pouvoir se déplaça de Thèbes vers la Basse-Égypte. Dès le XIVe siècle av. J.-C., la famille royale établit ses quartiers à Memphis. Le pouvoir égyptien s’installa dans le nord du pays pour ne plus le quitter jusqu’à aujourd’hui. Au sein de ce mouvement, qui s’inscrit dans la très longue durée de l’histoire égyptienne, l’installation éphémère de la capitale en Moyenne-Égypte, sur le site de Tell el-Amarna, par Akhenaton (13521336 av. J.-C.), constitua une exception qui mérite d’être commentée. Loin de n’être que le résultat d’une lubie du « pharaon hérétique », ce changement de capitale pourrait en effet correspondre à une volonté de tenir la balance impériale en équilibre en plaçant la capitale à mi-chemin entre les possessions de Nubie et du Levant. L’extinction de la lignée d’Akhenaton mit un terme à cette politique, d’autant qu’elle fut suivie par l’arrivée d’hommes du Nord à la tête de l’État pharaonique. Ramsès II (1279-1213 av. J.-C.), dont le règne domina le XIIIe siècle av. J.-C., incarne à lui seul cette « septentrionalisation » du pouvoir pharaonique. Une nouvelle capitale, Pi-Ramsès, fut installée à l’extrémité orientale du delta (cf. carte 6 p. 19). Ville de mer, ville de guerre, Pi-Ramsès succéda à Avaris, capitale des Hyksos, comme le coeur d’un royaume nilotique et méditerranéen, préfigurant ainsi le rôle joué, bien plus tard, par Alexandrie, à l’extrémité opposée du delta, dès la fin du IVe siècle av. J.-C.
LE CHOIX DU NORD ET L’AFFAIBLISSEMENT POLITIQUE DU PAYS
Face à l’impossibilité de tenir uni cet empire bipolaire, les élites égyptiennes firent donc le choix du Levant, délaissant peu à peu la Nubie qui gagna en autonomie politique et finit, au XIe siècle av. J.-C., par retrouver son indépendance. Les choses n’allèrent pas beaucoup mieux dans le nord où, pourtant, les pharaons avaient concentré l’essentiel de leurs moyens. À la fin du XIIe siècle av. J.-C., mais surtout aux alentours de 1178 av. J.-C., une confédération de peuples de marins très vraisemblablement originaires du monde égéen et, peut-être, des côtes de la mer Noire lança une série d’opérations militaires contre plusieurs cités de la côte levantine et chypriote. L’Égypte elle-même
fut menacée. Le pharaon Ramsès III (11841153 av. J.-C.) parvint à contenir l’invasion en affrontant ces « peuples de la mer ». Ces derniers n’étaient cependant pas des nouveaux venus sur la scène méditerranéenne. Dès le milieu du IIe millénaire av. J.-C., certains de leurs membres jouèrent le rôle de mercenaires, voire de prétoriens au service des pharaons. Plus généralement, leurs compétences en matière de navigation leur permirent de devenir les maîtres du fret maritime, convoyant le cuivre chypriote (le nom de l’île vient du nom grec de ce métal : kypros) ou le bois du Liban vers la capitale égyptienne. Au fond, l’histoire des peuples de la mer rappelle celle des Vikings. Profitant de l’affaiblissement politique et économique de leurs clients, ces mercenaires et ces marchands se muèrent en envahisseurs. À la fin du IIe millénaire av. J.-C., l’empire égyptien avait vécu (cf. carte 7). Divisée politiquement, l’Égypte ne tenait plus ni le Levant ni la Nubie. Pis, elle devint une proie pour les États impériaux émergents. À la fin du VIIIe siècle av. J.-C., elle fut conquise par le roi Piye (751720 av. J.-C.), maître du royaume nubien de Napata. Comme les Nubiens menaçaient leurs intérêts au Levant, les rois assyriens Assarhadon (680-669 av. J.-C.) puis Assurbanipal (669-627 av. J.-C.) traversèrent le Sinaï et envahirent la vallée du Nil, portant le fer jusqu’à Thèbes. L’Égypte était devenue le champ de bataille, sans être réellement l’enjeu, de l’affrontement des deux principales entités impériales de cette période. Cet affrontement préfigura la série d’invasions perse, macédonienne, romaine qui privèrent l’Égypte de son autonomie politique sans toutefois mettre fin au caractère pharaonique de la monarchie. Le christianisme, dont le clergé fut un instrument du pouvoir romain, participa à la disparition de celle-ci (cf. carte 8). Envisagée sur la très longue durée, l’Égypte apparaît comme un incubateur politique unique : y naquirent, en effet, l’une des plus anciennes monarchies unitaires de la planète ainsi que le plus vieil empire intercontinental de l’histoire humaine. Mais, en même temps, sa puissance semblait grevée d’une irrémédiable faiblesse : au carrefour de quatre espaces mondes, elle s’offrait à la convoitise des puissances environnantes alors que la nature oasienne de son écologie limitait fortement ses ressources et, avec elles, les capacités d’action de l’État pharaonique.