Guyane : un « printemps
Entre février et avril 2017, la Guyane a vécu une mobilisation sans précédent pour dénoncer la situation socioéconomique dramatique du territoire : manque d’infrastructures, de médecins, problème de délinquance, chômage, etc. En sus, ce territoire fait face à de nombreux enjeux et défis liés à son statut et à ses caractéristiques géographiques.
7 000 kilomètres de Paris, en Guyane, le printemps 2017 a été marqué par une mobilisation qui a éclipsé la campagne présidentielle. Dans ce territoire français d’outremer situé sur le continent sud-américain, tous les voyants socio-économiques sont au rouge, que ce soit en matière de santé, d’éducation, d’emploi ou de sécurité (cf. document 2). En 2013, le taux de pauvreté est de 44,3 % (contre 14 % en métropole), le PIB est inférieur de moitié à celui de l’Hexagone, tandis que le pourcentage de bénéficiaires des minimas sociaux y est quatre fois plus élevé. La situation des jeunes est particulièrement préoccupante, d’autant plus que les moins de vingt ans représentent 43 % de la population ; 46,7 % des 15-24 ans sont au chômage en 2015 alors que seulement 12 % ont le baccalauréat. Le ratio de médecins est deux fois moins important qu’en métropole alors que les taux de mortalité infantile et maternelle y sont bien plus hauts.
UN MANQUE DE TOUT
Le manque d’infrastructures est criant, que ce soit les équipements scolaires et sanitaires ou de transport, alors que la population y est en forte augmentation et jeune (sur 244118 habitants en 2013, 139 910 ont moins de trente ans). Enfin, et surtout, les données sur la sécurité sont particulièrement alarmantes. Le territoire arrive en tête des départements français concernant le taux d’homicides pour l’année 2016 (14 fois plus élevé qu’en Seine-Saint-Denis et sept fois plus que dans les Bouches-du-Rhône), mais aussi celui de vols violents et de cambriolages ; sans compter que la Guyane est une porte d’entrée du trafic de cocaïne vers la France. C’est d’abord le climat d’insécurité qui a lancé les prémices de la mobilisation. En février 2017, à la suite du meurtre d’un habitant d’un quartier populaire de Cayenne, le collectif des « 500 frères contre la délinquance » est créé. Il demande plus de sécurité lors de la visite de Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie (2014-2017), sur le territoire à la mi-mars, et appelle à empêcher le lancement de la fusée Ariane à Kourou. Dans la foulée, un collectif qui regroupe des dizaines d’associations, syndicats et travailleurs sociaux se constitue et prend le nom de « Pou Lagwiyann Dékolé », symbole des revendications plus globales du mouvement pour le développement du territoire. La mobilisation s’amplifie avec des grèves, des manifestations, mais surtout des barrages qui empêchent la circulation routière et fluviale pendant plus d’un mois. Le mouvement jouit d’un fort soutien populaire et rassemble toutes les catégories de la population en raison d’un sentiment d’abandon et de « ras-lebol » généralisé de la part des Guyanais face à des conditions de vie inférieures à la métropole et parfois aux autres DROM antillais. Il faut dire que les enjeux et les tensions sont forts en Guyane et qu’aux difficultés structurelles de développement s’ajoute celle de sa géographie. En effet, ce grand territoire, 84 000 kilomètres carrés, soit l’équivalent de la Nouvelle-Aquitaine, est constitué à 98 % par de la forêt tropicale (cf. carte 1), ce qui rend son développement difficile ; d’autant plus que la population est comparativement faible et concentrée sur une mince bande de terre le long de la côte. Le territoire est donc difficilement contrôlable, alors que la Guyane est attractive. Son PIB est supérieur à celui de ses voisins immédiats et dix fois plus important que celui d’Haïti (d’où proviennent de nombreux migrants). À cela s’ajoutent des frontières poreuses, car en grande partie constituées par des fleuves d’abord perçus comme des voies de communication et d’échanges, et qui sont ainsi des axes majeurs de pénétration de l’immigration clandestine. Les demandeurs d’asile représentent 10% de la population et les étrangers environ 30 %, ce qui alimente le chômage et les tensions. Ces difficultés de contrôle du territoire entraînent aussi un pillage des ressources naturelles, notamment de l’or par des chercheurs brésiliens sur des chantiers clandestins, aggravant l’insécurité.
ISOLEMENT GÉOGRAPHIQUE
Enfin, la Guyane est isolée géographiquement et économiquement du reste du continent sud-américain malgré une amélioration de la situation depuis le début des années 2000 : les voies routières, maritimes et aériennes reliant le territoire à ses voisins sont peu développées, contrairement aux liaisons avec la métropole et les Antilles françaises. Les échanges commerciaux entre la Guyane et les pays de la région sont faibles, renchérissant le prix des produits de base souvent importés d’Europe (il n’est pas possible d’importer des produits du continent sud-américain car ils ne sont pas aux normes européennes). Ce contexte difficile explique l’ampleur de la mobilisation des Guyanais, lassés de ne pas se faire entendre. Un accord a été signé le 23 avril 2017, à la veille du premier tour de la présidentielle (en raison du décalage horaire, le vote a lieu le samedi). Ce texte acte des engagements importants de l’État sur la sécurité, l’éducation, la santé, le désenclavement et le développement économique du territoire ; ce qui n’a pas empêché les Guyanais d’exprimer leur mécontentement dans les urnes puisque 80 % des votants se sont abstenus ou ont voté blanc (contre 55 % en 2012).