Yémen : une guerre sans aucun répit
Trois ans après le début de la guerre au Yémen, les perspectives de paix demeurent réduites. Le bilan ne cesse de s’alourdir : plus de 40 000 blessés et près de 8 000 morts, dont la moitié de civils, et 3 millions de déplacés. Alors que 80 % de la population se trouve en situation d’urgence alimentaire, le risque de famine et l’épidémie de choléra font du pays la plus importante crise humanitaire au monde.
La suspension des pourparlers de paix au Koweït entre le camp proAbd Rabbu Mansour Hadi et les Houthis en août 2016 a mis en échec les efforts de médiation onusiens. Depuis, la négociation de deux cessez-le-feu n’a pas permis de relancer l’initiative de paix. Les acteurs semblent déterminés à poursuivre l’action militaire, alors qu’une victoire franche d’une force sur l’autre paraît impossible. Dans ce contexte, les Houthis et leurs alliés du Congrès populaire général (CPG), parti de l’ancien président Ali Abdallah Saleh (1978-2012), s’efforcent d’institutionnaliser leur pouvoir. La formation à Sanaa du Conseil politique suprême puis d’un gouvernement concurrent de l’exécutif de Mansour Hadi, reconnu par la communauté internationale et soutenu par l’Arabie saoudite, n’a pas apaisé les tensions. Au contraire, le président a répondu en annonçant le transfert à Aden de la banque centrale. En réduisant la capacité des autorités à payer les salaires du secteur public (notamment de l’armée), ce déménagement est venu précipiter l’effondrement économique des régions contrôlées par les Houthis (inflation, absence de liquidités).
L’ENLISEMENT DES COMBATS
Les combats au sol et les raids aériens se sont intensifiés, sans transformer l’état des rapports de force. L’opération « Flèche dorée », lancée en janvier 2017 par les forces pro-Hadi avec le soutien de la coalition arabe dans l’ouest du pays, a peu progressé face aux contre-attaques des Houthis, qui s’appuient sur des structures militaires et sociales liées à l’ancien président Saleh. La reprise d’Al-Hudaydah, objectif annoncé de l’offensive militaire, risque d’asphyxier les populations qui se trouvent sous contrôle houthiste : le port est l’unique voie d’approvisionnement en aide des régions du nord du Yémen. Malgré la volonté des forces pro-Hadi d’unifier les fronts dans le nord (afin de préparer le terrain pour une offensive sur Sanaa), les combats s’enlisent depuis des mois sans avancée militaire majeure dans les gouvernorats de Marib, d’Al-Jawf et de Sanaa. La région de Taez est toujours le théâtre de violents affrontements et bombardements. Les forces houthistes continuent par ailleurs de mener des attaques au sol et des tirs de missiles dans les zones frontalières avec l’Arabie saoudite. Les protestations feutrées et les positions ambiguës de la communauté internationale vis-à-vis de la situation yéménite sont loin de favoriser une désescalade des violences. Depuis 2015, les États-Unis et le RoyaumeUni ont transféré l’équivalent de 5 milliards de dollars d’armes à la coalition arabe, un montant dix fois supérieur à celui de l’aide versée (ou prévue) pour le Yémen par les deux pays (450 millions de dollars). La France a, quant à elle, livré à l’Arabie saoudite pour 900 millions d’euros d’équipements militaires en 2015. En avril 2017, le limogeage de deux figures sudistes proches des Émirats arabes unis par le président Hadi à Aden a provoqué des protestations dans le sud du pays, favorisant la réaffirmation du projet séparatiste, avec notamment la formation du Conseil de transition sudiste. Ces mobilisations soulignent les difficultés du camp pro-Hadi à mener une action politique, économique et sociale cohérente. Le redressement de la situation économique et le paiement des salaires de l’administration publique et des soldats paraissent cruciaux si ce camp veut asseoir son autorité et tenter d’endiguer la dynamique protestataire. Cette situation souligne également les tensions croissantes entre le président Hadi, soutenu par l’Arabie saoudite, et les Émirats arabes unis, qui semblent plus favorables à une autonomisation des régions sudistes.
UN TERRAIN PROPICE À AL-QAÏDA
Depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2017, Donald Trump a fait du Yémen un terrain privilégié de sa démonstration de force contre l’organisation de l’État islamique et Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA). Son administration a désigné les gouvernorats d’Abyan, de Shabouah et d’Al-Baïda « zones d’hostilité active » afin de permettre aux forces américaines d’y conduire des frappes de manière moins contraignante. Les violences provoquées par la multiplication des raids, principalement aériens avec des drones, nourrissent les récriminations des populations locales et favorisent le développement de sentiments d’empathie vis-à-vis d’AQPA. Elles ne font qu’entretenir les sources d’instabilité et qu’aggraver le conflit. La lutte contre l’ancrage des réseaux djihadistes ne peut faire l’économie de la promotion d’autorités locales, de l’amélioration de l’accès des populations aux services de base, dont la santé, de la consolidation des forces de sécurité, et ne peut être isolée de la guerre et de la crise humanitaire que connaît le pays. Tant que la guerre perdure et que la crise s’aggrave, l’organisation ne peut que prospérer.
Sources : Rédaction de Carto, 2017 ; Risk Intelligence (fil Twitter), 8 mai 2017 ; « Yemen crisis: Who is fighting whom? », in BBC, 28 mars 2017 ; European Council on Foreign Relations, Mapping the Yemen conflict, mai 2017; Wikipedia, List of terrorist incidents, mai 2017 ; OCHA, YEMEN: Humanitarian Snapshot - Food insecurity and population displacement, mai 2017 ; ERCC, Yemen - Recent cholera outbreak, 24 mai 2017 ; UNHCR, Yemen Situation: Regional Refugee and Migrant Response Plan, 31 mai 2017 ; P. Salisbury, Yemen: Stemming the Rise of a Chaos State, Chatham House, mai 2016 Carto no 42, 2017 © Areion/Capri