Syrie, le mirage d’une solution politique
Le 4 avril 2017, une attaque à l’arme chimique fait près de 100 morts à Khan Cheikhoun (province d’Idlib). Le régime de Bachar al-Assad est considéré comme responsable par la communauté internationale. Pendant ce temps, la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenue par les États-Unis, poursuit son avancée sur Raqqa, fief de l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech).
Selon les conclusions de l’enquête internationale menée par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) en date du 19 avril 2017, les forces gouvernementales syriennes ont employé du gaz sarin à Khan Cheikhoun. Dès le 7 avril 2017, le président américain, Donald Trump (depuis janvier 2017), a ordonné la première action militaire directe des États-Unis contre le régime en bombardant la base aérienne de Chayrat. De son côté, la France a apporté des éléments à charge en déclassifiant un rapport des services secrets se basant sur l’analyse d’échantillons prélevés le jour de l’attaque sur l’une des victimes.
ARSENAL CHIMIQUE
Si Damas a reconnu avoir conduit un raid aérien le 4 avril 2017, il nie toute implication dans ce crime, argumentant qu’il ne possède pas d’armes chimiques. Officiellement, l’arsenal syrien a été éradiqué en vertu de la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU et dans la foulée des attaques au gaz sarin perpétrées en août 2013 dans la Goutha orientale, en banlieue de Damas. Les États-Unis avaient alors failli frapper, prétextant le franchissement d’une « ligne rouge », mais le refus du Congrès avait contraint l’administration Barack Obama (2009-2017) à se rétracter. Selon les experts français, Damas conserve 20 tonnes d’un produit chimique utilisé pour synthétiser du sarin. Soutenant la piste d’un bombardement de l’armée syrienne ayant touché un entrepôt contenant des substances toxiques, la Russie a critiqué l’OIAC et la France. Au total, 161 attaques chimiques ont été perpétrées en Syrie entre 2012 et 2015 (cf. carte 1), causant 1 491 morts, selon la Syrian American Medical Society (SAMS). Déjà, en août 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies avait examiné un rapport sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, établissant la culpabilité du gouvernement, mais aussi celle de l’EI. En 2014, l’organisation avait mis la main sur le dépôt d’Al-Muthana (Irak), contenant d’importantes réserves d’armes chimiques constituées d’ypérite et de sarin.
CAP SUR RAQQA
Sur le terrain, les combattants kurdes et arabes syriens, épaulés par Washington, se sont emparés, le 10 mai 2017, d’Al-Tabqa et du barrage de Thawra, le plus
grand de Syrie, qui alimente la région en eau et en électricité (cf. carte 2). Dernier verrou situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Raqqa, « capitale » autoproclamée de l’EI, Al-Tabqa est une étape majeure dans le cadre des offensives lancées en novembre 2016 et février 2017 par les FDS. Si les djihadistes avaient détruit le barrage, outre une catastrophe humanitaire et écologique, ils auraient provoqué une inondation des territoires en aval sous leur contrôle, jusqu’à Deir ez-Zor. Trois jours après la prise du barrage, les FDS se sont emparées de l’aéroport, à 3 kilomètres au sud, avant d’arriver en juin aux portes de Raqqa. Si, depuis le début des opérations contre l’EI, les Américains ont toujours fait de la reconquête de Mossoul, en Irak, une priorité, très tôt, Paris s’est intéressé à Raqqa, fief de nombreux djihadistes français. À l’automne 2016, Français et Américains avaient annoncé des opérations concomitantes pour chasser l’EI de ces deux villes. Le fief syrien de Daech pourrait tomber cet été, à moins que la Turquie, qui a aussi eu l’ambition de prendre Raqqa, n’agresse les Kurdes des FDS. La reprise de Raqqa nécessitera des troupes importantes. Pour cela, l’administration Trump n’a pas eu peur de froisser son allié stratégique turc en décidant, pour la première fois, de fournir de l’armement aux combattants kurdes de Syrie. Une mesure soutenue depuis des mois par le Pentagone, qui estimait nécessaire d’accroître le soutien aux milices kurdes affiliées au Parti de l’union démocratique (PYD), branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considérées comme le fer de lance de la coalition anti-Daech dans la région de Raqqa. Si les relations se sont dégradées entre les deux partenaires de l’OTAN, Washington souhaite donner la priorité aux combattants en première ligne. Dans le cadre de l’alliance circonstancielle nouée entre l’Iran, la Russie et la Turquie sur le dossier syrien à Astana (Kazakhstan) le 4 mai 2017, un projet de quatre « zones de désescalade » a été adopté. Aux délimitations géographiques floues, ce plan proposé par Moscou se heurte au scepticisme de l’ONU. Ces espaces comprendront des territoires essentiellement sous contrôle rebelle, englobant une population de 2,67 millions de civils et de 41 500 combattants rebelles.