Jérusalem : quand l’archéologie devient une arme
À Jérusalem, chaque découverte ou fouille archéologique est l’objet de vives tensions. Car si la réalité des faits mis au jour ne peut être remise en question, celle-ci est soumise à l’interprétation des hommes dont les inclinations varient selon leur rapport aux textes, leur conception géopolitique et leur idéologie. Et Israël l’a bien compris.
Depuis l’annexion de Jérusalem-Est par l’État israélien en juin 1967, l’archéologie apparaît comme un moyen de s’approprier l’espace urbain. Des fouilles se multiplient dans la vieille ville, tandis que les Lieux saints et leurs abords cristallisent les tensions sociopolitiques et religieuses. Le quartier des Maghrébins est effacé au profit d’une place destinée à la mise en valeur du mur des Lamentations. Au sud-est de l’enceinte sacrée, des fouilles archéologiques sont réalisées sur la colline de l’Ophel. L’emprise israélienne s’étend au sein du plus ancien foyer d’occupation de la ville, berceau de la Jérusalem biblique, à l’emplacement du village palestinien de Silwan. Dans ce dernier secteur, la stratégie de l’association Elad, chargée de la gestion du parc national de la Cité de David, est simple : l’achat de maisons (ou l’expropriation) permet l’installa- tion de colons qui autorisent les travaux archéologiques destinés à légitimer leur présence. La guerre des ruines se joue également dans les entrailles de la ville, principalement sous les deux foyers les plus sensibles représentés par l’esplanade des Mosquées et Silwan. Dans le premier, des tunnels creusés le long de l’enceinte sacrée permettent à la Western Wall Heritage Foundation, créée pour préserver le mur et ses espaces souterrains, d’étendre son contrôle jusqu’au coeur du quartier musulman. Dans le second, plusieurs tronçons d’une voie romaine ont été dégagés sous terre afin d’atteindre l’enceinte sacrée. La jonction de ces deux pôles est un pas décisif dans le processus de judaïsation de la partie orientale de Jérusalem. Les visites guidées, orientées sur les périodes liées à la Jérusalem biblique, s’adressent aux jeunes militaires, aux écoliers et aux touristes de plus en plus nombreux à arpenter les galeries souterraines qui procurent le frisson de l’expérience physique des mystères de l’histoire juive. Des projets de parcs touristiques implantés à proximité de l’esplanade des Mosquées se joindront bientôt au Centre Davidson, aménagé dans les sous-sols d’un édifice omeyyade, où sont diffusées des vidéos comparant les pèlerins d’aujourd’hui à ceux du Second Temple, et où les visiteurs peuvent admirer une reconstitution du Temple en 3D. Les événements culturels organisés par la municipalité sont principalement fondés sur le récit juif, alors que les découvertes archéologiques relayées par les médias sont pour l’essentiel des épisodes ou des symboles forts associés à l’histoire du judaïsme. Depuis 1967, les fouilles réalisées par les Israéliens en territoires occupés sont illégales au regard du droit international, mais ils n’autorisent personne d’autre à en faire. Aussi, toute initiative de collaboration étrangère avec la « puissance occupante » est condamnée, selon les termes de l’UNESCO, qui dénonce l’annexion de JérusalemEst. Le monopole des fouilles archéologiques de la ville reste donc aux mains des autorités israéliennes qui utilisent le patrimoine comme moyen de justifier leur présence.