Géoéconomie des diamants Un marché sous surveillance
Le 4 avril 2017, le « Pink Star », un diamant rose de 59,6 carats (1), gros comme une prune, a battu un record mondial pour une pierre vendue aux enchères, atteignant 71,2 millions de dollars. Le 16 mars 2017, l’un des plus gros diamants bruts jamais découverts (706 carats) était mis au jour en Sierra Leone. Deux événements qui témoignent de l’effervescence d’une filière diamantaire suscitant convoitise et fascination, mais également en pleine recomposition.
La production mondiale de diamants s’élevait en 2015 à 127,4 millions de carats, issus de 21 pays, qu’il s’agisse des pierres les plus pures, appelées « gemmes », utilisées dans la joaillerie, et de celles moins pures et extraites pour un usage industriel. La Russie est le premier producteur mondial avec 41,9 millions de carats en 2015 (32,8 %) devant le Botswana (20,8 millions de carats), la République démocratique du Congo (16 millions), l’Australie (13,5 millions), le Canada (11,6 millions), l’Angola (9 millions), l’Afrique du Sud (7,2 millions), le Zimbabwe (3,5 millions) et la Namibie (2 millions). Ces pays couvrent 98,7 % de la production mondiale de diamants bruts. Quelques « petits » producteurs (Guyana, Lesotho, Ghana, Sierra Leone, Tanzanie…) se partagent les miettes de ce gâteau mondial. À cette polarisation géographique correspond une forte concentration des firmes extractives. Trois d’entre elles dominent le marché. Le géant russe Alrosa est au premier rang mondial avec 27% de la production, exploitant de nombreuses mines en République de Sakha, dans la région d’Arkhangelsk. Il devance l’historique firme sud-africaine De Beers (22 %), qui a longtemps détenu le monopole, et l’angloaustralienne Rio Tinto (10 %).
REDISTRIBUTION DES CARTES
Le marché mondial des diamants est en pleine mutation depuis la fin du siècle dernier en raison notamment de la croissance de la demande mondiale de pierres de luxe pour l’industrie de la joaillerie dans les pays émergents et de l’apparition de nouveaux acteurs. Entre le milieu du XIXe siècle et les années 1980, l’Europe et les États-Unis constituaient les principaux moteurs de ce marché. Les grands centres de négoce étaient également les grandes places financières occidentales : Londres, Anvers, Amsterdam, New York. Désormais, la géographie des centres diamantaires est bouleversée avec l’émergence de nouvelles puissances économiques. Tel-Aviv est la deuxième place mondiale pour le négoce et Dubaï la troisième. Bombay s’est spécialisé dans la taille de petites et moyennes pierres. Plus proches des marchés de production ou de consommation, les nouvelles capitales de la diamanterie révèlent des hiérarchies économiques inédites impulsées par la mondialisation et le décentrement de la filière. La Chine est le deuxième consommateur mondial de diamants après les États-Unis avec 15 % des ventes de détail (2). À Anvers, en Belgique, sept des dix premières compagnies locales de diamants sont indiennes. Depuis 2010, Bombay est devenu la plus grande Bourse au monde (Bharat Diamond Bourse). Les diamants ont par ailleurs contribué à la « prospérité » de certains pays africains faiblement développés. C’est le cas du Botswana. En 2013, De Beers (qui contrôle encore 40% du marché local) a transféré ses opérations de triage et de vente de Londres vers Gaborone, capitale de cet État enclavé d’Afrique australe qui s’est ainsi transformé en nouvelle plaque tournante de la filière diamantifère.
DES PERSPECTIVES SOMBRES ?
Le caractère opaque de la sphère diamantaire continue d’être dénoncé par les ONG. Les conditions d’extraction s’effectuent parfois au mépris des Droits de l’homme en Afrique ; la fraude et l’évasion fiscale concernant de nombreux diamantaires anversois ont été révélées en 2015 et en 2016 par les « SwissLeaks » et les « Panama Papers » ; la dégradation environnementale (gigantesques mines à ciel ouvert), les déplacements forcés de populations, le détournement de la rente au profit des puissants viennent compléter ce panorama. À la fin du siècle dernier, les « diamants de sang », pierres de contrebande permettant de financer les activités de groupes armés africains, ont contraint les acteurs de la filière à plus d’éthique. Le processus de Kimberley (Afrique du Sud), signé en 2003 et rassemblant 81 pays dans le monde, est une structure de coopération internationale qui a réussi à mettre en place un système de certification des diamants bruts afin d’éviter de négocier sur le marché mondial l’achat des diamants présentés par des mouvements rebelles, des seigneurs de guerre ou des « gemmocraties » dans le but de financer leurs activités militaires. Mais surtout, peu de nouveaux gisements ont été découverts ces dernières années. Les prix flambent dans un marché qui reste particulier, car chaque pierre est unique. Il n’y a donc pas de cours officiel du diamant. D’ici quelques années, les pierres synthétiques devraient envahir les marchés, particulièrement dans la joaillerie de masse. Finalement, le vrai diamant n’est peut-être pas si éternel !
NOTES
(1) Le carat, égal à 0,2 gramme, est l'unité de masse des pierres précieuses. Pour obtenir un diamant de joaillerie d’un carat, il faut une pierre brute de 3 carats. Plusieurs dizaines, voire des centaines de tonnes de minerais (la kimberlite, matériau d’origine volcanique) doivent être extraites pour trouver un diamant brut. (2) Marc Roche, Diamants : Enquête sur un marché impur, Tallandier, 2017.