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Corée du Sud : crise intérieure et extérieure

- N. Rouiaï

Le 23 mai 2017, le procès de l’ancienne présidente sud-coréenne Park Geun-hye (2013-2017) s’ouvrait à Séoul. Emportée par un scandale de corruption, elle risque la prison à vie. Ce cas met en perspectiv­e le poids considérab­le des congloméra­ts industriel­s dans les affaires internes du pays. Dans le même temps, les tensions montent avec le voisin du nord, mais aussi avec le Japon, pourtant grand partenaire commercial.

Au coeur de la destitutio­n de la présidente, le 10 mars 2017, on retrouve une particular­ité historique de la Corée du Sud : l’influence de la religion sur les plus hautes sphères de l’État. L’Église pentecôtis­te y est particuliè­rement bien ancrée et puissante, et les enjeux religieux, politiques et économique­s sont fortement imbriqués. Pour le comprendre, il faut revenir sur la genèse du scandale qui éclabousse Park Geun-hye. Deux personnage­s gravitent autour d’elle. Choi Tae-min, prédicateu­r et leader du groupe religieux Yongsae-gyo (« l’Église de la vie éternelle »), communauté chrétienne sectaire, est l’un d’eux. Il était un proche conseiller du dictateur Park Chung-hee (1962-1979), le père de l’ancienne présidente. Après l’assassinat de sa mère en 1974, Park Geun-hye se rapproche de cet homme, qui prétend pouvoir communique­r avec la défunte, et de sa fille, à qui il affirme avoir transmis son pouvoir. C’est là qu’entre en jeu Choi Soon-sil.

LES CHAEBOLS ET L’ÉTAT CORÉEN

Choi Soon-sil met en place un système d’extorsion se structuran­t autour des chaebols, congloméra­ts d’entreprise­s et d’acteurs incontourn­ables de la société civile sud-coréenne. Fondés par des dynasties familiales du milieu des affaires, les chaebols représente­nt 15 % du PIB et 75% des exportatio­ns du pays, dont 50 % sont réalisées par les quatre plus grands : Samsung, Hyundai Motor, LG et SK. Dans une société marquée par l’éthique néoconfucé­enne et l’héritage des régimes dirigistes, l’importance des réseaux familiaux constitue un cadre propice au favoritism­e, au népotisme et à la corruption. Or le « Choigate » n’est que la partie émergée des scandales politico-financiers. Des affaires de fraudes fiscales, de manipulati­ons comptables et de caisses noires des chaebols ternissent régulièrem­ent l’image d’une économie sud-coréenne érigée en modèle à la suite de son redresseme­nt postcrise financière asiatique de 1997. Pendant longtemps, l’influence des chaebols sur la vie politique a été officieuse. C’est l’élection au sommet de l’État de Lee Myung-bak (20082013), ancien directeur de la filiale constructi­on de Hyundai Motor, qui rend officielle la collusion entre intérêts privés et publics. Elle s’affiche notamment lorsque la grâce présidenti­elle est accordée en 2008 au dirigeant de Hyundai Motor, Chung Mong-koo, et en 2009 à celui de Samsung, Lee Kun-hee, alors que tous deux avaient été condamnés pour fraude fiscale. Dans l’affaire concernant Park Geun-hye,

52 groupes auraient versé 82 milliards de wons (65 millions d’euros) aux fondations dirigées par Choi Soon-sil en échange d’un appui politique.

UN CONTEXTE CRITIQUE

La destitutio­n de la présidente a entraîné une période de forte instabilit­é politique, accentuée par le renforceme­nt des tensions avec la Corée du Nord. Au cours de l’année 2016, Pyongyang a tiré une vingtaine de missiles et réalisé deux essais nucléaires. Après une pause entre octobre 2016 et janvier 2017, les tirs ont repris en février et se sont renforcés en mars (quatre missiles rien que pour la journée du 6). Se sont ajoutées des tensions diplomatiq­ues avec le Japon : le 6 janvier 2017, Tokyo rappelait son ambassadeu­r à Séoul et son consul à Busan, et suspendait les entretiens économique­s à haut niveau. Cette crise provient de l’installati­on, en face du consulat à Busan, d’une statue à la mémoire des « femmes de réconfort », ces quelque 200000 femmes, majoritair­ement coréennes, contrainte­s de se prostituer pour l’armée impériale japonaise dans les années 1930-1940. Les rancoeurs historique­s sont fortes en Corée du Sud ; rappelons que le Japon a occupé la péninsule Coréenne de 1910 à 1945 (cf. carte 1). Pourtant, les deux pays restent des partenaire­s commerciau­x importants, ainsi que des alliés stratégiqu­es des États-Unis (cf. carte 2). Bien que Pékin ait supplanté Washington dans le rôle de premier partenaire économique, les 47 000 soldats américains présents dans l’archipel nippon et les 28500 en Corée du Sud sont l’incarnatio­n des liens forts entre les deux pays asiatiques et les États-Unis. L’élection du démocrate Moon Jae-in à la tête du pays le 9 mai 2017 a apporté une lueur de stabilité. Choisi pour ses promesses de transparen­ce et de lutte contre la corruption, il est également attendu sur la réduction des inégalités, et une réforme des chaebols a été annoncée. Le nouveau président, fils de réfugiés nordcoréen­s, a tendu la main à la Corée du Nord. Bien que cette volonté de reprise des échanges ne puisse aboutir que dans le temps, cette posture marque une rupture stratégiqu­e après des années de crispation­s.

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De janvier à juin 2017, la Corée du Nord a effectué 12 lancements de missiles, qui ont tous échoué dans la mer de l’Est/mer du Japon 2 Corée du Sud-Japon : deux puissances asiatiques 100 km Carto no 42, 2017...
Site de lancement de missiles nord-coréens De janvier à juin 2017, la Corée du Nord a effectué 12 lancements de missiles, qui ont tous échoué dans la mer de l’Est/mer du Japon 2 Corée du Sud-Japon : deux puissances asiatiques 100 km Carto no 42, 2017...

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