États-Unis - Canada : un mariage sans divorce possible
En février 2017, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau (depuis 2015), se rendait à Washington pour y rencontrer le nouveau locataire de la Maison Blanche, Donald Trump. Malgré des opinions différentes, notamment sur la question migratoire, les deux hommes ont rappelé le caractère primordial de l’amitié entre les deux pays. Car le Canada et les États-Unis ne peuvent se passer l’un de l’autre.
Unis par une frontière de 8 891 kilomètres, de la baie de Fundy, à l’est, à l’Alaska, au nord-ouest, le Canada et les États-Unis entretiennent depuis toujours des liens humains et économiques forts, si bien que, quelles que soient les divergences politiques entre Washington et Ottawa, les deux gouvernements sont appelés à s’entendre. Néanmoins, l’arrivée de Donald Trump, en janvier 2017, avec son discours protectionniste n’a, au départ, guère rassuré le voisin du nord.
ENJEUX ÉCONOMIQUES
La force des relations bilatérales s’illustre par une évidence économique. Le Canada est le deuxième partenaire des États-Unis après la Chine, avec des échanges de biens et de services atteignant 627,8 milliards de dollars en 2016. Les deux pays sont assez complémentaires, exportant et important, entre autres, des véhicules, des hydrocarbures, des produits manufacturiers et agricoles. Le transport et les télécommunications dominent le secteur des services. Cette situation a été renforcée par la signature de l’Accord de libre-échange nordaméricain (ALENA) en 1994. Sur le plan énergétique, le Canada reste le premier partenaire des États-Unis : en 2016, les importations américaines en provenance de son voisin ont atteint 53 milliards de dollars, contre 14 milliards en sens inverse, la majorité étant constituée de pétrole brut. Les Canadiens, qui vivent toute élection présidentielle américaine presque comme la leur, ont alors vu d’un mauvais oeil les déclarations du candidat Trump. Pendant sa campagne, ce dernier a insisté sur la nécessité de redonner aux États-Unis leur force de frappe économique et leur autonomie, y compris dans le secteur des hydrocarbures. Mais le Canada sait que son allié a besoin de ses ressources, notamment de celles de l’Alberta. La décision de Donald Trump, dès son arrivée au pouvoir, d’autoriser la construction de l’oléoduc Keystone XL, exploité par la compagnie TransCanada depuis les champs de Hardisty, a rassuré les agents du secteur. Plus inquiets sont les Québécois, qui misent sur l’hydroélectricité : cela intéressera-t-il la nouvelle administration Trump ? La « Belle Province » entend négocier à l’échelle des États fédérés sur cette question. Autre source de préoccupation : l’ALENA. Le président américain a promis de le renégocier, voire de se retirer, afin, selon lui, de relancer l’emploi dans son pays. Si les travailleurs qui passent la frontière nord sont nombreux, le problème concerne principalement les liens avec le Mexique, le troisième membre de l’accord, d’après Donald Trump. Ce qui n’empêche pas les entrepreneurs canadiens de s’inquiéter, car la fin de l’ALENA signifierait une hausse des droits de douane. En avril 2017, le président américain a accepté de discuter les termes de l’accord, alors qu’Ottawa confie que les échanges avec son voisin sont trop importants pour permettre un changement radical. Car les liens entre les États et les provinces frontaliers sont forts. C’est d’ailleurs dans ces régions que résident la majorité des Canadiens dans leur pays et de l’autre côté de la dyade. Les États-Unis
sont le pays le plus visité par les Canadiens (15 millions entre janvier et septembre 2016), et le Canada est le plus visité par les Américains (12,6 millions en 2015), expliquant notamment la présence diplomatique : une ambassade et 14 consulats canadiens aux États-Unis ; une ambassade et trois consulats américains au Canada.
TENSIONS MIGRATOIRES
L’immigration est un sujet plus tendu. Avec les déclarations du président Trump sur les étrangers et le « Muslim Ban », les réfugiés voient dans le Canada une terre d’accueil plus ouverte que les États-Unis. Et Justin Trudeau a pris parti pour les Syriens fuyant la guerre. Ainsi, on a pu observer dès 2016 une hausse des cas de personnes interpellées à la frontière entre les deux pays. Il est difficile d’établir une géographie des routes de passage, car les personnes évitent les postes douaniers. En effet, en vertu d’un accord entre le Canada et les ÉtatsUnis, l’asile doit être demandé dans le premier pays où l’on arrive officiellement. Le nombre de demandes d’asile auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada et des bureaux d’Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada a atteint 23895 en 2016, contre 16115 en 2015 ; elles s’élèvent à 12 040 pour la seule période janvier-avril 2017. Une province frontalière comme le Québec a vu ce chiffre exploser, passant de 2 920 en 2015 à 5 505 l’année suivante, dont près de la moitié (2500) enregistrée à des points d’entrée terrestres. Peu populaire au Canada, Donald Trump sait néanmoins qu’il peut compter sur Justin Trudeau pour le soutenir sur les questions de fond. Car si Ottawa s’est déjà « rebellé » par le passé, comme en n’appuyant pas la guerre en Irak en 2003 – acte vécu comme symbolique par l’administration Bush (2001-2009), le Canada ayant répondu à l’appel en Afghanistan –, les États-Unis attendent de leur voisin un engagement de sécurité. La frontière commune présente trop d’intérêts économiques pour la fermer au motif d’un terroriste venu du Canada pour frapper la première puissance mondiale.