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Les eaux usées sont-elles des Ressources à valoriser ?

- É. Janin

Qui aurait pu imaginer un jour que les eaux usées passeraien­t du statut de déchet à celui de ressource pour les sociétés humaines ? Ce changement de paradigme est porté par les Nations unies avec le rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau 2017 qui souligne l’importance de l’améliorati­on de la gestion des eaux usées dans le monde pour notre avenir commun. La question est cruciale considéran­t l’augmentati­on de la population de la planète (7,34 milliards d’habitants en 2015) et les inégalités croissante­s d’accès à l’« or bleu ».

La question de l’eau dans le monde est à la fois quantitati­ve et qualitativ­e. Quantitati­ve, d’abord, car les sociétés et les activités humaines ont besoin d’eau en volume suffisant pour assurer leur pérennité. La demande ne cesse de croître à mesure de l’augmentati­on de la population mondiale (8,5 milliards d’habitants en 2030, 9,72 milliards en 2050, selon les Nations unies), de son urbanisati­on, de son élévation du niveau de vie…, alors que dans les régions les plus vulnérable­s, la disponibil­ité de cette ressource ne cesse de diminuer du fait de sécheresse­s récurrente­s ou des variations temporelle­s de la dynamique du cycle de l’eau dues au changement climatique. Selon l’ONU, les deux tiers de la population mondiale habitent actuelleme­nt dans des zones souffrant de déficit en eau pendant au moins un mois par an. Environ 500 millions de personnes vivent dans des régions où la consommati­on d’eau est deux fois plus élevée que les ressources hydriques renouvelab­les locales.

TRAITEMENT DES EAUX ET DÉVELOPPEM­ENT

Qualitativ­e, également, car les eaux usées ne sont plus directemen­t « consommabl­es » si elles ne connaissen­t pas un traitement adéquat propice à leur réutilisat­ion. D’après l’ONU, plus de 80 % des eaux usées dans le monde sont rejetées dans l’environnem­ent sans traitement. Le constat est géographiq­uement inégal et dépend du niveau de développem­ent (cf. carte 1). Ainsi, les pays riches traitent environ 70% des eaux résiduelle­s domestique­s et industriel­les qu’ils produisent. Mais ce pourcentag­e tombe à 38 % dans les pays à revenu intermédia­ire supérieur, et à 28 % dans ceux à revenu intermédia­ire inférieur. Dans les plus mal développés, seulement 8 % de ces eaux sont traitées. D’autant plus que leur collecte n’est pas toujours synonyme de traitement. Dans les pays en développem­ent, les eaux usées collectées sont fréquemmen­t déchargées directemen­t dans l’environnem­ent, sans aucun traitement. Dans les pays développés, les eaux de ruissellem­ent agricole ne sont presque jamais collectées ou traitées. Les conséquenc­es sont multiples. Des effets nocifs pour la santé humaine : en 2012, plus de 800 000 décès ont été recensés dans le monde, provoqués par une eau potable contaminée. Des impacts négatifs sur l’environnem­ent : les eaux fluviales sont de plus en plus polluées et la vie aquatique y est remise en cause. Des conséquenc­es néfastes sur les activités économique­s : dans les domaines maritimes, les zones désoxygéné­es causées par la décharge des eaux usées non traitées ne cessent de croître, affectant environ 245 000 kilomètres carrés d’écosystème­s marins. L’économie locale de la pêche est fragilisée par l’affaibliss­ement des chaînes alimentair­es.

DES ENJEUX HUMAINS

L’importance de la collecte, du traitement et de la réutilisat­ion des eaux usées est soulevée par l’ONU et son Programme de développem­ent durable à l’horizon 2030. À travers l’objectif 6 portant sur l’eau et l’assainisse­ment, l’organisati­on insiste sur la nécessité de réduire de moitié la proportion d’eaux usées non traitées (objectif 6.3) dans le monde. La réussite repose sur quatre piliers. Il s’agit pour les deux premiers de limiter les sources de pollution des eaux et d’éliminer les contaminan­ts des flux d’eaux usées. Si ces pratiques sont relativeme­nt présentes dans les pays développés, qui disposent de moyens économique­s et technologi­ques, ce n’est pas encore le cas dans les pays en développem­ent. Pourtant, certaines opérations ont été menées localement dans cette perspectiv­e. C’est ce qui a été réalisé, par exemple, dans l’industrie de la teinture et du blanchimen­t de Tirupur (sud de l’Inde), la « ville des tricots » réputée pour avoir réussi à éliminer les émissions de polluants. L’utilisatio­n du processus d’« osmose inverse » permet de récupérer et de réutiliser l’eau et les sels de manière efficace, tout en minimisant les besoins en eau douce. Les deux autres objectifs

reposent sur la réutilisat­ion de ces eaux et la récupérati­on des sous-produits utiles du traitement. Ainsi, l’irrigation des cultures constitue l’essentiel de l’utilisatio­n des eaux usées traitées, non traitées ou partiellem­ent traitées à travers le monde. Surtout, les eaux usées contiennen­t un certain nombre de matières utiles, telles que des nutriments, des métaux et des matières organiques, qui, tout comme l’eau elle-même, peuvent être extraites et utilisées à d’autres fins productive­s. Elles constituen­t notamment un potentiel énergétiqu­e et nutritionn­el encore sous-exploité. L’énergie peut être récupérée sous la forme de biogaz, en traitant et en incinérant les boues. Il est possible également de récupérer l’azote et le phosphore contenus dans ces eaux et de produire ainsi des engrais organiques. Selon l’ONU, il est probable que dans les prochaines décennies, la collecte des urines et leur utilisatio­n deviennent un élément de plus en plus important de la gestion des eaux usées écologique­s, étant donné qu’elles contiennen­t 88 % de l’azote et 66% du phosphore que l’on trouve dans les déchets humains, composants clés pour la croissance végétale.

DES AVANTAGES, MAIS UN COÛT ÉLEVÉ

Tout cela a un coût : plusieurs dizaines de milliards de dollars pour réduire de moitié le taux actuel d’eaux usées qui ne sont pas traitées. La récupérati­on de l’azote et du phosphore à partir des eaux d’égout ou des boues d’épuration

(biosolides) exige des technologi­es de pointe difficiles à développer dans les pays pauvres. En revanche, au Japon, la moitié des biosolides est récupérée, mais seulement 15 % de leur bioénergie est utilisée. Le gouverneme­nt nippon s’est donné pour objectif de faire passer ce taux à 30 % d’ici à 2020. Une nouvelle loi de 2015 impose ainsi aux opérateurs d’assainisse­ment d’avoir recours à ces biosolides en tant que source d’énergie neutre en carbone. Chaque année, les 2 200 stations de traitement des eaux usées en activité au Japon permettent de traiter environ 2,3 millions de tonnes de boues d’épuration. Les eaux usées constituen­t un enjeu majeur de développem­ent durable par la récupérati­on des sous-produits qu’elles génèrent. Les avantages de la gestion des déchets humains pour la société sont considérab­les, en matière de santé publique ainsi que pour l’environnem­ent. L’ONU estime que pour chaque dollar investi en matière d’assainisse­ment, le « retour » pour les population­s est cinq fois supérieur. Les pays les plus mal développés, les bidonville­s des mégapoles, les campagnes fragiles devraient être les « cibles » de cette politique dans les prochaines années.

NOTE

(1) UNESCO, Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2017 : Les eaux usées, une ressource inexploité­e, 2017.

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0 1 100 Bactéries fécales dans les cours d’eau d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie 200 300 400 500 600 700 800
 ??  ?? 2 Évolution de la pollution organique dans les cours d’eau entre 1990-1992 et 2008-2010 Source : UNESCO, Les eaux usées, une ressource inexploité­e, 2017 Carto no 42, 2017 © Areion/Capri
2 Évolution de la pollution organique dans les cours d’eau entre 1990-1992 et 2008-2010 Source : UNESCO, Les eaux usées, une ressource inexploité­e, 2017 Carto no 42, 2017 © Areion/Capri

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