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La bataille de Cannes : 2 août

- Y. Le Bohec

Étudiée à l’académie militaire américaine de West Point et connue par tous les Saint-Cyriens, la bataille de Cannes est un modèle. Elle apporte de nombreux enseigneme­nts : Hannibal (247-v. 181 av. J.-C.) était très intelligen­t (ce que tout le monde sait), très hellénisé (ce qui est moins connu) et les Africains lui fournissai­ent les meilleurs de ses soldats (ce qui est souvent ignoré).

a bataille de Cannes s’inscrit dans le cadre de la deuxième guerre punique (218-201 av. J.-C.). Parti de Carthagène (cf. carte 2), Hannibal avait traversé l’Espagne, la Gaule et les Alpes. Puis il était entré en Italie avec des forces peu nombreuses, environ 30 000 soldats et 21 éléphants, alors qu’il fallait environ 50 000 hommes pour une bataille. Après avoir remporté trois victoires (Le Tessin, La Trébie et Trasimène, cf. carte 1) et recruté de nouvelles troupes, il disposait de 30 000 à 40 000 fantassins et de 10 000 cavaliers ; tous ses éléphants étaient morts, sauf un. Et il signa un succès des plus illustres à Cannes, contre une armée romaine beaucoup plus nombreuse, comptant 80000 hommes, avec seulement 6 000 cavaliers. La force d’Hannibal tenait à son génie, secondé par des soldats africains (dits aussi libyens) très efficaces. La faiblesse des Romains tenait au trop petit nombre de leurs troupes montées et au commandeme­nt, qui était partagé entre deux consuls, Varron le présomptue­ux et Paul-Émile le sage.

HANNIBAL, UN STRATÈGE DE GÉNIE

Le site de cette rencontre n’a pas été retrouvé. On sait qu’elle se déroula en Apulie (sud-est de l’Italie actuelle), à proximité du village de Cannes, qui est situé entre Barletta et Canossa, sur la rive droite d’un petit cours d’eau appelé l’Aufide, qui se dirige vers la mer Adriatique. Pour ne pas éveiller les soupçons sur son talent, Hannibal choisit un emplacemen­t a priori mauvais ; il plaça ses hommes face à l’est, c’est-àdire face au soleil levant, une gêne pour eux. Son génie s’exprima à travers un stratagème. Il plaça au centre de son dispositif initial des Gaulois et des Ibères ; il mit sur leurs flancs, à gauche et à droite, des Africains ; il envoya aux ailes, comme il était normal, la cavalerie, qui était composée de Numides. Les Romains avaient adopté une organisati­on plus banale pour eux : l’infanterie lourde était répartie sur trois lignes, flanquée par la cavalerie et précédée par des fantassins légers, appelés vélites. Ces trois lignes correspond­aient au dispositif traditionn­el : les hastati étaient placés en avant, les principes au milieu et les triarii à l’arrière. Normalemen­t, seuls les deux premiers groupes combattaie­nt, et ils se relayaient, de façon à ce qu’aucun soldat ne soit très fatigué. Hannibal attaqua le premier et il lança deux opérations simultanée­s. La cavalerie numide chassa la cavalerie romaine, trop peu nombreuse. Et, dans le même temps – là se manifesta le coup

de génie –, il fit avancer son centre (Gaulois et Ibères) en arc de cercle, de façon à lui faire dessiner une sorte de ventre mou. Les Romains crurent à une nouvelle faute de leur ennemi, après un choix d’emplacemen­t initial hasardeux, et les légionnair­es, en partie sans ordre, se précipitèr­ent sur ce qu’ils considérai­ent comme un point faible. Une fois qu’il les vit bien concentrés au centre, Hannibal fit pivoter les unités d’Africains, à 90 degrés, à droite et à gauche. Les Romains virent alors des ennemis en face d’eux et sur leurs deux flancs. C’est à ce moment que la cavalerie des Puniques revint. Les Romains se rendirent compte qu’ils étaient pris dans une souricière : soldats gaulois et ibères devant, fantassins africains à gauche et à droite, cavaliers numides derrière. Le massacre pouvait commencer ; et il dura longtemps.

DES PERTES ROMAINES IMPORTANTE­S

La bataille de Cannes est un modèle de bataille d’anéantisse­ment. Hannibal ne perdit que 5700 soldats. Du côté romain, on compta 45 000 morts, dont Paul-Émile, et 20 000 prisonnier­s. Quelque 15 000 hommes réussirent néanmoins à s’échapper, sous le commandeme­nt de Varron. Un lieutenant d’Hannibal appelé Magon aurait rapporté à Carthage environ 3 mètres cubes d’anneaux d’or arrachés aux doigts des chevaliers romains tués au combat ; c’est sans doute excessif. Mais, même grossi, ce chiffre donne une idée des pertes que les Romains ont subies. Les conséquenc­es de la bataille de Cannes furent considérab­les, et elles ne sont pas sans rappeler l’attaque japonaise contre la base américaine de Pearl Harbor (7 décembre 1941) : Hannibal avait réveillé un dragon. Le Sénat se montra admirable. Il remercia Varron de ne pas avoir désespéré de la République et il refusa de racheter les captifs. Fabius le Temporisat­eur, dictateur, décida de recourir à la guérilla, ce qui était sans exemple au sein de son peuple. Par ailleurs, bénéfician­t d’une forte démographi­e, les Romains mirent sur pied plusieurs armées, en Italie, dans la péninsule Ibérique et en Sicile. Et ils confièrent leurs soldats à d’excellents généraux, comme Marcellus (268-208 av. J.-C.), et surtout Scipion (236-183 av. J.-C.), futur « L’Africain » et vainqueur d’Hannibal. La seule question qui se pose encore est de savoir si Scipion fut un élève d’Hannibal ou s’il a dépassé son maître.

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1 La deuxième guerre punique en Italie
 ??  ?? 2 La péninsule Ibérique sous la période romaine
2 La péninsule Ibérique sous la période romaine
 ??  ?? 3 L’Afrique sous la période romaine
3 L’Afrique sous la période romaine

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