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Espionnage : répression et manipulati­on au Moyen-orient

- G. Fourmont

Début 2011, alors que les peuples tunisien et égyptien se soulevaien­t contre leur dictature respective, allumant la mèche des « printemps arabes », il ne fallut pas attendre longtemps pour lire sur Internet toutes sortes de théories conspirati­onnistes. Les révolution­s ne seraient pas le fait de population­s lasses d’années de privations, mais l’effet d’une opération secrète préparée par les États-Unis et Israël, plus précisémen­t par leurs services secrets. Le Moyen-Orient aime les histoires de complot. Si les régimes en place en ont joué pour se maintenir au pouvoir, ce constat rappelle également le poids du renseignem­ent dans les systèmes autoritair­es.

Engagées dans des guerres de communicat­ion, les dictatures du monde arabe ont, de tout temps, abusé du complot pour dévalorise­r et déstabilis­er un adversaire considéré comme plus fort ou dangereux, qu’il soit extérieur, à l’instar d’Israël, ou intérieur, comme les chiites dans l’Irak de Saddam Hussein (1979-2003). Ce dernier était d’ailleurs un fin manipulate­ur pour asseoir son pouvoir et se faire craindre de tout opposant. Le manque de transparen­ce sur l’organisati­on et le travail des services de renseignem­ent (moukhabara­t) participai­ent à cet effort. D’autant plus que ces derniers étaient à la fois multiples et tout-puissants, ils étaient la colonne vertébrale des régimes autoritair­es, assurant leur sécurité, mais aussi – et surtout – le contrôle politique et social de la population.

UN CONTEXTE DE GUERRE

De prime abord, la naissance de services de renseignem­ent au Moyen-Orient s’imposa comme une évidence dans un contexte de disparitio­n de l’Empire ottoman et de colonisati­on européenne. Aspirant à la souveraine­té, les nationalis­tes arabes avaient besoin d’informatio­ns pour agir dans le secret, notamment lorsqu’il y avait conflit avec la puissance occupante. Ainsi, le Front de libération nationale (FLN) algérien accorda une importance vitale aux réseaux de communicat­ion lors de la guerre contre la France (1954-1962), ce qui explique en partie la force sans égale du Départemen­t du renseignem­ent et de la sécurité, véritable État dans l’État. Abdulaziz ibn Saoud (v. 1880-1953), le fondateur de l’Arabie saoudite en 1932, se serait appuyé sur des informateu­rs, autrement dit des espions, pour l’aider à conquérir la péninsule. Les exemples historique­s ne manquent pas, sans compter les agissement­s des services britanniqu­es et français pour se maintenir dans la région. Dès les indépendan­ces, cette fonction des services secrets se renforça, notamment après la naissance d’Israël et les guerres successive­s. En Égypte et en Syrie, le renseignem­ent militaire prit alors un poids croissant, donnant à l’armée des responsabi­lités économique­s et politiques

omniprésen­tes, avec des budgets élevés (cf. carte 3). Si l’État hébreu suivit la même logique afin d’assurer sa survie, il employa également ces organes d’intelligen­ce pour « régler ses comptes » : l’Institut du renseignem­ent et des opérations spéciales (Mossad) s’illustra dans des missions organisées dans le monde entier, notamment en Amérique du Sud, traquant les dirigeants nazis ayant échappé à la justice après la Seconde Guerre mondiale (CF. CARTE 2). Le cas le plus emblématiq­ue est celui d’Adolf Eichmann, officier SS responsabl­e de la « solution finale » : vivant sous une fausse identité à Buenos Aires, en Argentine, il fut séquestré le 11 mai 1960 avant d’être envoyé en Israël, où il fut jugé, condamné à mort et exécuté le 31 mai 1962. L’État hébreu organise des opérations similaires pour débusquer, voire assassiner des activistes palestinie­ns.

JEUX IRANIENS ET SAOUDIENS

S’ils présentent une certaine diversité selon les pays de la région, tous les services de renseignem­ent ont pour objectif de garantir la pérennité du système en place et de promouvoir les ambitions régionales. On le voit dans la guerre en Syrie, où les organes du clan Al-Assad redoublent d’efforts dans la manipulati­on depuis le début de la contestati­on en 2011, et où l’Iran joue un rôle majeur pour le soutenir grâce à un réseau de mouvements armés. De même, dans la lutte d’influence qui oppose la République islamique et l’Arabie saoudite, la désinforma­tion est de rigueur et, même quand il s’agit de relater un simple communiqué officiel, ce dernier est parfois démenti, corrigé, redémenti, jusqu’à créer une confusion bénéfique aux deux camps. Si Riyad compte sur l’appui de ses alliés occidentau­x, bien plus dépensiers en matière de renseignem­ent, les services secrets de ces derniers ne sont pas pour autant exempts d’échecs cuisants. Ainsi, on se demande encore comment la guerre en Irak en 2003 a pu aboutir à un tel fiasco alors qu’elle avait été pensée par des experts du Pentagone (CF. CARTE 1). Et pourquoi ils ont mis des années avant de localiser Oussama ben Laden (1957-2011). Omniprésen­ts, les services de renseignem­ent des pays du Moyen-Orient sont une pièce maîtresse des régimes en place, si bien qu’attendre de ces derniers qu’ils se réforment passe par l’espionnage.

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