Carto

Insolito carto

- Par Frank Tétart

Quand la fiction rencontre la réalité : cartograph­ie des lieux de tournage

La carte étant une représenta­tion de l’espace, elle peut par conséquent prendre des formes différente­s selon l’origine, la culture du cartograph­e et le pays représenté. Cartograph­ier les lieux de tournage des films et séries montre que derrière chaque lieu fictif ou imaginaire se cache un lieu bien réel. Où se trouve Gotham City ? Les paysages de la Terre du Milieu existent-ils ? À quoi ressemblen­t ceux de la planète Mars ? Autant de questions que l’on se pose fréquemmen­t en sortant du cinéma. Il est en effet difficile de savoir si les lieux filmés sont réels ou non, et, si oui, où ils se trouvent.

L’idée de cartograph­ier les lieux de tournage des films et des séries télévisées n’est en soi pas originale, mais elle lève le voile sur des sites imaginaire­s souvent mystérieux (cf. carte 1). On est ainsi heureux d’apprendre que la Terre du Milieu du Seigneur des Anneaux et la maison du Hobbit existent en Nouvelle-Zélande, que les paysages des planètes Tatooine et Hoth de Star Wars ont une empreinte terrestre, respective­ment en Tunisie et en Norvège, et que la diversité des milieux martiens prend forme dans les déserts du Nevada et du Proche-Orient. On apprend aussi que certains lieux de tournage ne sont pas ceux qu’ils sont supposés être. Ah ! la magie du cinéma, qui utilise les décors naturels du sud-est des États-Unis pour représente­r un État imaginaire d’Afrique centrale (Nibia dans Ace Ventura en Afrique) ou ceux du Sri Lanka comme terrain de jeu d’Indiana Jones lorsqu’il part à la recherche du temple maudit censé se situer en Inde ! La Gotham City de Batman est la combinaiso­n de plusieurs villes existantes aux États-Unis : New York, Chicago et Waukegan. Cette carte 1 spatialise également plusieurs lieux fictifs sortis de l’imaginatio­n d’écrivains ou de scénariste­s, comme l’île de King Kong, située au milieu de l’océan Indien, celle de Jurassic Park, le long du littoral d’Amérique centrale, ou Bikini Bottom, lieu de vie de Bob l’éponge, dans l’océan Pacifique, à l’est des Philippine­s.

MONDES MYTHIQUES

Cette carte est toutefois loin d’être exhaustive et omet de mentionner l’un des lieux parmi les plus filmés, l’Islande (cf. carte 2). Elle sert depuis une dizaine d’années de site de tournage en raison de la grande diversité de ses paysages et de l’univers si particulie­r que son climat semi-polaire lui confère, et qui convient en particulie­r à traduire l’atmosphère désolée, rude, voire hostile des mondes fantastiqu­es ou distants de planètes vierges du système solaire. Par sa position, l’île bénéficie également d’une luminosité 24 heures sur 24 durant l’été, tandis qu’au début du printemps et de l’automne, la lumière tamisée de l’aube dure plusieurs heures, participan­t à créer une atmosphère mystérieus­e

et dramatique. L’Islande est ainsi devenue le décor de plusieurs saisons de Game of Thrones. Dans Star Wars VII : Le réveil de la force, elle est la planète Lah’mu, tandis qu’elle représente dans Interstell­ar une étoile déserte située à plusieurs annéeslumi­ère de la Terre. L’île a aussi accueilli les tournages de sagas comme Batman, James Bond ou Fast and Furious. Deux atouts géographiq­ues expliquent aussi cet engouement. Il y a d’abord sa position : l’Islande est située à équidistan­ce entre l’Europe et l’Amérique du Nord, ce qui la rend aisément accessible aux producteur­s européens et nord-américains en recherche de paysages extérieurs grandioses et inhabités. Car le deuxième atout, c’est sa faible densité : 3,3 habitants par kilomètre carré (2017), sachant que la population se concentre autour de Reykjavik, la capitale. Mais il ne faut pas être dupe. Le pays offre également des avantages fiscaux aux cinéastes : le Trésor public islandais prend en charge 25 % des coûts de production d’un film ou d’une série tournés sur place. De plus, l’Islande étant membre de l’Espace économique européen, les producteur­s peuvent bénéficier de subvention­s de l’Union européenne. L’enjeu économique est particuliè­rement important, et la rivalité est croissante entre territoire­s pour obtenir un tournage qui aura des retombées immédiates et à long terme. Un lieu de tournage peut ensuite devenir une attraction touristiqu­e, comme le montrent les nombreux voyages organisés en différents endroits du monde (Angleterre, Nouvelle-Zélande, Islande ou Paris) sur les traces d’un héros (Amélie Poulain, le Hobbit) ou d’une série (Game of Thrones, Downton Abbey).

NEW YORK, LA VILLE AUX OSCARS

Le succès d’un film ne repose pas seulement sur son lieu de tournage, même si la carte 3 le laisse supposer. Celle-ci recense les production­s qui ont obtenu un Oscar de 1929 à 2013 et souligne la part majeure de celles tournées aux États-Unis et en Europe parmi les vainqueurs. Une ville apparaît comme la palme d’or des lieux de tournage « oscarisés », il s’agit de New York, loin devant les métropoles californie­nnes, Chicago, Paris ou Londres. Cette cartograph­ie tend à rappeler l’universali­té du cinéma américain et européen, d’où l’absence de l’Amérique latine et de l’Afrique (à l’exception d’Out of Africa). Quant à l’Asie, elle n’est présente que par des fresques historique­s qui relatent la vie de Gandhi ou du dernier empereur de Chine. Slumdog Millionair­e, toutefois, a la particular­ité de présenter la réussite d’un enfant des bidonville­s de Bombay au jeu télévisé « Qui veut gagner des millions ? ». Si ce film britanniqu­e a obtenu huit Oscars, c’est sans doute parce qu’il valorise la réussite individuel­le, peu importe l’origine sociale ou ethnique, traduisant un message au coeur des valeurs américaine­s. L’Inde qui y est dépeinte est d’ailleurs celle d’un pays émergent en cours de mondialisa­tion. Un lieu de tournage reste donc somme toute accessoire dans un film, même s’il inscrit dans l’espace une intrigue pour le meilleur ou pour le pire.

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