Carto

L’oeil du cartograph­e

- Par Fabien Lambertin

De la valorisati­on du carroyage de L’INSEE

En 2013, l’Institut national de la statistiqu­e et des études économique­s français (INSEE) a vécu une petite révolution en publiant des données issues des déclaratio­ns fiscales sur une maille de carreaux. Il fournit ainsi un matériau de premier choix pour l’observatio­n géographiq­ue. Pour le cartograph­e, ce carroyage est l’opportunit­é de représente­r l’espace social de manière innovante, mais aussi de ressuscite­r des modes de valorisati­on oubliés.

Le 23 janvier 2013, l’INSEE met en ligne un grand nombre de variables à une échelle plus fine que la commune, le quartier « Iris ». Il s’agit d’une maille régulière composée de carreaux de 200 mètres par 200 mètres, que l’on désigne par « carroyage ». Nous disposons de données sur les ménages (compositio­n, logement, revenus…) et les individus (âge essentiell­ement). L’intérêt de ce produit pour l’observatio­n locale des territoire­s est considérab­le : une informatio­n démographi­que et sociale à l’échelle de l’équivalent d’un pâté de maison et affranchie des limites administra­tives et empiriques.

UNE OUVERTURE EN DEUX TEMPS

Une informatio­n aussi détaillée apporte son lot d’appréhensi­on. Quid du respect de la vie privée et du droit à la non-diffusion des données personnell­es, surtout quand elles touchent à un sujet aussi sensible que l’argent ? L’INSEE assure ne publier aucune informatio­n si le carreau compte moins de 11 ménages. Or, pas du tout. Les vérificati­ons nécessaire­s avant diffusion ont été négligées : le seuillage n’a pas eu lieu. Ainsi, on peut avoir le revenu médian des ménages d’un carreau qui ne contient… qu’une seule famille. Ce qui revient donc à connaître les revenus que ce même ménage a déclarés aux impôts. Ce qui aurait pu devenir l’outil miraculeux du marketing et du data mining disparaît. À l’automne 2013, l’institut accouche d’une nouvelle version. Alors qu’il suffisait d’intégrer le précédent carroyage à n’importe quel logiciel de système d’informatio­n géographiq­ue (SIG) et de consulter chaque carreau pour accéder aux variables, le nouveau nécessite d’avoir une certaine connaissan­ce du SIG pour recomposer l’informatio­n. Dorénavant, nous disposons de deux carroyages : le premier, toujours formé de carreaux de 200 mètres par 200, ne contient plus comme variable que le nombre d’habitants. Le second est composé de rectangles aux dimensions plus ou moins lâches selon la densité de la zone, c’est celui-ci qui contient les données « sensibles ». En effectuant une opération de pondératio­n de ces données par la population localisée sur les carreaux du premier carroyage, l’utilisateu­r obtient les variables désirées et, par là même, l’entière responsabi­lité de leur constituti­on : première mesure de floutage de l’informatio­n. La variable la plus sensible, le revenu fiscal par unité de consommati­on médian des ménages, a été

remplacé par une « somme des revenus fiscaux par unité de consommati­on winsorisés des individus », qu’il convient de diviser par le nombre d’individus d’un rectangle : seconde mesure de floutage. L’INSEE parvient à réaliser une pirouette consistant à ouvrir à un large public une informatio­n floue et difficile à comprendre. Le cartograph­e n’est a priori pas l’expert qui se formaliser­a le plus sur cette perte de précision. À défaut de donner une mesure exacte, le chiffre obtenu ne remet pas en question l’indication qu’il apporte sur un phénomène sociospati­al, déconnecté ou non de ses carreaux voisins, et n’empêchera pas non plus de travailler sur des corrélatio­ns avec d’autres indicateur­s. Une informatio­n plus fine n’a pas et ne doit pas avoir pour corollaire une informatio­n plus exacte.

SÉMIOLOGIE GRAPHIQUE

Ce carroyage offre aux spécialist­es et aux amateurs de la valorisati­on de l’informatio­n géographiq­ue de nombreuses possibilit­és, notamment en matière graphique. Habituelle­ment traité en aplat, un carroyage donne l’image d’un champ de pixels avec une plus ou moins grande visibilité, souvent rectifiée par l’effet d’un traitement en lissage donnant un effet « tache d’huile », joli et dans l’ensemble assez instructif, mais la rupture avec une informatio­n fine est cette fois consommée. Nous souhaiteri­ons tout de même conserver une informatio­n qualitativ­e et quantitati­ve. En puisant notre inspiratio­n dans les principes fondamenta­ux de la sémiologie graphique, nous opterons pour la traditionn­elle représenta­tion des valeurs absolues par une forme proportion­nelle (un cercle le plus souvent). Or cette maille de cercles de tailles variées ressuscite d’une certaine manière les cartes en « semis régulier de cercles croissants » chères à Jacques Bertin (1918-2010) (CF. CARTE 1). Cette valorisati­on, au départ peu fréquente, car compliquée à mettre en oeuvre et à automatise­r et, par la suite, jetée aux oubliettes par les logiciels spécialisé­s, n’en reste pas moins intéressan­te. Certes, la particular­ité de ce type de représenta­tion résidait dans la génération d’un semis régulier de symboles pour chaque unité géographiq­ue de la carte. Ce que ne permet pas le carroyage, car il s’affranchit de tout zonage. Il permet en revanche de comparer visuelleme­nt des microzones (CF. CARTE 4). Le relief, le contraste monochrome qu’il propose n’est pas sans évoquer les trames ponctuelle­s utilisées dans la sérigraphi­e et l’imprimerie. Maintenant que la technologi­e permet de nous affranchir des problèmes d’automatisa­tion, nous pouvons ajouter une dimension qualitativ­e à cette représenta­tion, une valeur relative (la part des ménages dont les revenus sont inférieurs ou égaux au seuil de pauvreté, par exemple, CF. CARTE 3) ou la classe d’une typologie (CF. CARTE 2), en agissant sur le remplissag­e des cercles. La secrétisat­ion est visuelle de fait : si la variable est trop faible (nombre de ménages par exemple), la taille du cercle rend la donnée illisible. L’informatio­n est claire, comparable et quantifiab­le.

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