La Chine à la conquête de la nouvelle route de la Soie
La Chine met en oeuvre un projet hors norme qui concerne près de 70 États regroupant 4,5 milliards d’habitants et représentant 40 % du PIB de la planète. Cette « nouvelle route de la Soie » résiderait en un vaste réseau de corridors routiers, maritimes et ferroviaires qui ambitionne de relier l’Asie, l’Europe et l’Afrique, et d’ouvrir encore un peu plus la République populaire au monde. Surnommé le « projet du siècle » par Xi Jinping, le programme « OBOR », pour « One Belt, One Road » (une ceinture, une route) vise à créer une nouvelle génération de comptoirs transnationaux. C’est en 2013, lors d’une tournée en Asie centrale, que le président chinois mentionna à Astana (Kazakhstan) son projet de ressusciter la mythique route commerciale qui reliait, il y a près de deux mille ans, Xi’an, en Chine, à Antioche (en actuelle Turquie). Évoquant les caravanes qui partaient alors vers l’Europe, Xi Jinping proposa à ses voisins de nouveaux partenariats. Depuis, ce projet est devenu central dans la politique économique chinoise. Les banques et institutions financières ont été sollicitées dès sa mise en place. En plus des 40 milliards de dollars du fonds d’investissement, Pékin a débloqué 113 milliards supplémentaires en mai 2017 pour différents projets d’infrastructures. Deux routes principales, l’une maritime (Maritime Silk Road) et l’autre terrestre (Silk Road Economic Belt), sont prévues. Les deux initiatives procèdent d’une même logique : mieux ancrer le reste de l’Asie à la Chine, renforcer l’influence de la République populaire en Eurasie, mettre en avant l’idée d’une nouvelle donne géopolitique polycentrique, favoriser l’expansion internationale des entreprises chinoises, notamment dans le domaine des infrastructures, et assurer l’intégrité du territoire chinois.
UN ENJEU COMMERCIAL
L’objectif économique principal pour la République populaire est d’accroître ses exportations, d’une part, et de trouver de nouveaux marchés pour ses entreprises de BTP, d’autre part. La Chine est en surcapacité industrielle. En 2015, ses aciéries ont fabriqué 803,8 millions de tonnes d’acier, soit 49,58% de la production mondiale, là où les cinq autres principaux producteurs réunis (Japon, Inde, États-Unis, Russie, Corée du Sud) atteignaient 414 millions de tonnes. Mais la moitié des aciéristes chinois sont déficitaires, et les surcapacités d’acier produit atteignent 340 millions de tonnes, soit le double de la production européenne. Cette situation touche aussi le béton et le ciment. En deux ans (2015 et 2016), la Chine, avec 4,76 milliards de tonnes de ciment, en a produit davantage que les États-Unis durant tout le XXe siècle (4,5 milliards). Ces surcapacités concernent 19 des 29 principaux secteurs industriels du pays. Aider ses voisins à développer leurs infrastructures permettrait à la Chine de recycler ses excédents de production en ouvrant de nouveaux débouchés à ses entreprises nationales. Or l’Asie centrale est un marché en pleine expansion. En outre, la création de ces routes répond au besoin pour Pékin de diversifier et de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. La demande augmente avec l’accélération de l’industrialisation et de l’urbanisation. Alors qu’en 2016, 57 % des importations chinoises de brut provenaient de membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l’Asie centrale, notamment le Turkménistan et le Kazakhstan, représente pour la Chine un intérêt majeur afin de se libérer de sa dépendance énergétique visà-vis des monarchies du Golfe et de la Russie. En concluant des accords de coopération avec des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh ou la Birmanie, la République populaire assure en même temps la sécurité des nouvelles routes d’approvisionnement.
ÉTENDRE L’INFLUENCE CHINOISE
Politiquement, l’objectif est pluriel. Sur le plan interne, il s’agit pour la Chine d’assurer l’intégrité de son territoire. La province du Xinjiang, riche en matières premières et au carrefour des routes d’hydrocarbures, est régulièrement en proie à des conflits. Pékin souhaite que l’aide au développement des États limitrophes que sont l’Afghanistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan permette de réduire l’instabilité aux frontières et à l’intérieur du pays. L’objectif interne se greffe à un but de politique régionale en Asie centrale : étendre l’influence chinoise face à l’acteur historique russe et s’affirmer comme un stabilisateur des relations internationales. Ce projet est onéreux pour la Chine : en Asie centrale, des pertes de l’ordre de 20 à 40% sont estimées et ce pourcentage atteint les 80% pour le Pakistan. De même, le coût de la route ferroviaire qui reliera Chongqing (Chine) à Venise (Italie), Duisbourg (Allemagne) et Vénissieux (France) s’annonce plus élevé qu’une liaison maritime et moins rapide qu’une ligne aérienne. L’importance symbolique supplante l’utilité commerciale. Pour la République populaire, le vrai enjeu est diplomatique : accroître son influence sur des pays qui sont ses marchés d’exportation, imposer sa vision de la mondialisation face aux discours protectionnistes de l’administration américaine de Donald Trump (depuis janvier 2017) et développer son soft power en ciblant l’Eurasie.
En mai 2017, Pékin accueillait le premier Forum international sur les nouvelles routes de la Soie, où 28 chefs d’État et de gouvernement étaient présents autour du président chinois Xi Jinping (depuis 2013). Derrière un projet monumental visant à relier l’Asie et l’Europe à travers un vaste réseau d’infrastructures terrestres et maritimes s’esquissent des enjeux économiques, énergétiques et politiques.
Mer Rouge Mer du Nord Mer Noire Golfe d’Aden Mer Caspienne Golfe Persique Mer d’Oman Océan Indien Les ambitions chinoises vers l’Europe Golfe du Bengale Océan Indien Sources : Rédaction de Carto, octobre 2017 ; « Cultural centers: Bringing real China to global audience », China Daily, 14 septembre 2017 ; Laurent Bouit, « Chine, à la conquête de l’Ouest », ARTE France ; Thierry Garcin, « Les Enjeux internationaux », émission du 22 juin 2017, France culture; Council on Foreign Relations, « Beijing’s Silk Road Goes Digital », 6 juin 2017 ; The Mercator Institute for China Studies, China Mapping Silk Road Initiative, mars 2017 ; United Nations ESCAP, 2017 ; China Unicom Global, Global Network Map, 2017 ; China Telecom, 2017 ; Courrier International, « Projets de nouvelles “routes de la soie” et libre-échange », n 1257, du 4 au 10 décembre 2014 ; Alain Cariou, Le Xinjiang : une nouvelle frontière pour la Chine, 2013 Carto no 44, 2017 © Areion/Capri Mer Jaune Mer de Java Mer du Japon Mer de Chine Orientale Mer de Chine Médionale Océan Pacifique