Quand la cartographie devient bête
De nombreuses espèces portent un nom qui mentionne une localisation géographique. Mais la dénomination de certaines d’entre elles fait spécifiquement référence au monde de la cartographie. Petit tour d’horizon.
Certaines cartes géographiques naissent de l’esprit fécond de cartographes. D’autres éclosent en plein milieu des orties. C’est le cas du papillon La Carte géographique (cf. photo 1), dont le revers des ailes dessine un réseau de nervures blanches savamment entrelacées. Ces lignes, par leurs différentes largeurs, rappellent les routes, les chemins et les ruisseaux. Elles forment une cartographie aussi vivante qu’imaginaire : une version originale et animée de la projection de Waterman. La présence de ce même type de lignes blanches, mais longitudinales, aurait donné à Mogulones geographicus son nom scientifique (cf. photo 2). Ce coléoptère de quatre millimètres possède sur sa première paire d’ailes solides, les élytres, des lignes claires sur un fond sombre. Elles ressemblent à des méridiens oblongs, transformant ce Charançon géographie, amateur de plantes Echium, en un minuscule demi-globe terrestre.
LES INFORMATIONS GÉOGRAPHIQUES DU LICHEN
Il faut quitter la faune et réaliser un petit détour par les fonges pour rencontrer Rhizocarpon geographicum (cf. photo 3). Symbiose d’un champignon et d’une algue, ce lichen d’altitude vert ou jaune piqué de points sombres possède des bords ourlés de noir. Telle est la sémiologie graphique de cette représentation des patchworks de paysages des cartes. Il offre une riche source d’informations pour les géographes qui s’appuient sur sa colonisation des milieux pour leurs travaux. Il se développe notamment sur les roches libérées de la glace, milieux difficiles souvent pauvres en traces humaines à expertiser et en arbres à dater. Heureusement, la croissance lente et circulaire du Lichen géographique sur les moraines permet d’établir une cartographie temporelle du retrait définitif d’un glacier par lichénométrie. Un Lichen géographique pour faire une carte : une belle mise en abyme. Si les productions des cartographes ont été source d’inspiration pour les naturalistes, leur comportement n’a pas échappé à leur oeil observateur. Ainsi, toute une famille de petits papillons s’appelle les Géomètres, en référence au déplacement particulier de ses chenilles (cf. photo 4). Privées de certaines fausses paires de pattes qui leur permettraient de ramper, elles avancent en deux temps millimétrés. En arpentant leur support, elles imitent à s’y méprendre les grands pas réguliers des maîtres de la cartographie du territoire… À condition de faire la mise à l’échelle.
C’est dans la zone intertropicale en outremer que l’on doit se rendre pour rencontrer La Globe-trotteuse (cf. photo 5). Avec des ailes longues et élargies à leur base, cette libellule est une habituée des grands voyages. À ce titre, elle est inscrite au tableau des records des migrations d’insectes. Cosmopolite présente ou de passage sur tous les continents, elle est capable de parcourir de 14 000 à 18 000 kilomètres en deux générations successives. Cette voyageuse migre, par exemple, de l’Amérique du Sud au Canada ou du nord de l’Inde à l’est et au sud de l’Afrique (puis inversement). Elle peut atteindre le Japon vers l’est et l’Islande vers le nord, mais, en Europe, elle ne s’est enregistrée que dans certains pays
et sur quelques îles méditerranéennes. Malgré ses cinq centimètres de longueur, La Globetrotteuse est capable de traverser d’imposants océans et de passer des cols à 6 300 mètres d’altitude. Son long vol planant, adapté aux vents dominants de la zone tropicale, lui permet de voyager plusieurs jours sans se poser. Amatrice d’insectes, dont les moustiques, elle apparaît en vols immenses de centaines d’individus orangés et pond ses oeufs dans les premières mares temporaires créées par la mousson. Après un court cycle larvaire d’un à deux mois selon les régions, la jeune génération d’adultes est prête à décoller pour une nouvelle destination. Cette espèce fait partie des insectes qui pourraient explorer l’Hexagone à la faveur des changements climatiques, si elle y trouvait des sites de ponte favorables. Si certaines de ces espèces sont présentes en France métropolitaine, une autre est incontournable pour le cartographe, qui doit se déplacer en Asie pour l’observer : l’Atlas, Attacus atlas pour les intimes (cf. photo 6). C’est l’un des plus grands papillons du monde, soit 30 centimètres maximum. Cet Atlas-là tient sur la longueur de la revue Carto, sans déformation due aux projections. Quoi de plus normal quand on est une bête ?