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Migrants et mineurs : le défi de la prise en charge

- J. Camy

En 2017, plus de 170 000 migrants accostaien­t en Europe, dont 30 000 mineurs, rejoignant les quelque 360 000 arrivés l’année précédente, dont environ 100 000 enfants, selon les données des Nations unies. Un tiers d’entre eux n’étaient pas accompagné­s par un adulte. Si les pays d’accueil ont le devoir de les prendre en charge et de les protéger au moins jusqu’à leur majorité, cela n’est pas toujours le cas.

En 2016, on estime à 33 800 le nombre de mineurs isolés – âgés de moins de dix-huit ans et sans aucun représen- tant légal – ayant débarqué en Grèce, en Italie, en Espagne et en Bulgarie. Sur les six premiers mois de 2017, parmi les 16 500 enfants arrivés en Europe, 72 % étaient dans cette situation. Au total, 36 364 se trouveraie­nt hébergés dans des structures entre l’Italie et la Grèce, pays les plus exposés à cet afflux (cf. carte 1). En France, 25 000 mineurs non accompagné­s seraient arrivés en 2017, selon les estimation­s. C’est le double par rapport à 2016 (cf. carte 2) et le sextuple par rapport à 2010. En outre, en 2016, 8 054 nouveaux mineurs non accom- pagnés ont été déclarés, soit + 34 % par rapport à 2015. En 2017, une projection estimait le chiffre de 12 195 enfants seuls. Mais il est difficile d’avoir des chiffres précis ; ils sont même différents selon les sources (organismes internatio­naux, ONG). Les rapports se basent principale­ment sur les demandes d’asile et les enregistre­ments dans les structures départemen­tales de prise en charge. Cependant,

le voyage que font ces jeunes ne les mène pas toujours vers ces dernières ; ils les évitent parfois de peur d’être arrêtés.

UNE OBLIGATION DE PROTECTION

Le droit européen indique qu’un mineur isolé ne peut être expulsé. Il doit avant tout bénéficier de l’ensemble des obligation­s prévues par la Convention internatio­nale des droits de l’enfant. En France, il doit être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et, jusqu’à ses dix-huit ans, il n’a pas besoin de carte de séjour et peut s’inscrire à l’école ou en formation. Une fois majeur, son temps d’encadremen­t par l’ASE et ses efforts d’insertion seront pris en compte lors de sa demande de régularisa­tion. L’accès à ce droit d’asile et à ce traitement varie selon les pays. L’Allemagne ou la France sont plus réactives que l’Italie ou la Grèce, encore plus que la Serbie ou la Bulgarie. En Grèce, en 2016, sur 6718 demandes de droit d’asile (tous âges confondus), seules 963 ont été étudiées, soit 14%. En France, 60% des demandeurs se font recaler par les départemen­ts, qui sont chargés de statuer sur chaque cas et d’enquêter sur les âges en recoupant les fratries, en faisant des analyses médicales. Entre 2011 et 2015, le budget du départemen­t des Alpes-Maritimes alloué aux mineurs étrangers isolés est passé de 3,4 millions à 10 millions d’euros. Pour aider les autorités locales à affronter cette forte augmentati­on des prises en charge, les ministères de la Justice et de la Santé ont décidé d’une rallonge budgétaire de 6,5 millions d’euros en 2017. Parfois, cela ne va pas sans incident. La préfecture des Alpes-Maritimes a été plusieurs fois prise en défaut pour avoir reconduit à la frontière italienne des migrants mineurs. Le 12 janvier 2018, c’était le cas d’un Érythréen de douze ans, arrêté en gare de Menton par la police et immédiatem­ent expulsé vers l’Italie. Le tribunal administra­tif de Nice a rendu une ordonnance pour contacter l’Italie et donner un sauf-conduit à ce jeune afin qu’il bénéficie des services de la protection de l’enfance en France. Dans ce départemen­t assez exposé en raison de sa frontière avec l’Italie, 750 mineurs isolés sont arrivés en 2017 et 250 bénéficien­t encore des aides. En octobre 2016, à Calais, le gouverneme­nt avait créé en urgence plus de 70 centres temporaire­s pour accueillir les 2000 mineurs de la « lande », mais ceux-ci ont fermé en juillet 2017. Il y a aussi la question des mineurs âgés de seize à dix-sept ans, qui atteindron­t souvent leur majorité avant leur demande d’asile, le temps de traitement se situant en Italie ou en Grèce entre quinze et vingt-quatre mois. Sur les 1 922 mineurs de Calais, 700 s’étaient enfuis sans passer par les structures d’accueil.

UNE VIE MEILLEURE ?

Une étude du réseau Reach, basée sur des témoignage­s de mineurs isolés en Italie et en Grèce, détaille le profil de ces jeunes, majoritair­ement de sexe masculin et âgés de quinze à dixsept ans, qui ont quitté leur famille et leur pays à la suite d’une décision individuel­le (pour 75 % de ceux interviewé­s en Italie) afin d’échapper à des violences, des conflits, l’exploitati­on (1). Pour 47 %, l’Europe n’était pas la destinatio­n privilégié­e, cherchant plutôt à rejoindre l’Afrique du Nord ou des pays voisins comme le Mali ou le Sénégal. Mais ceux qui voulaient aller dans un État européen le faisaient pour les études (38 %) et l’espoir de trouver un territoire qui respecte les droits de l’homme (18%). Tous témoignent de leur passage en Libye comme d’une épreuve traumatisa­nte où ils furent souvent brutalisés et torturés ; 47 % furent kidnappés puis échangés contre rançon, 27 % furent emprisonné­s sans raison. Et ceux qui s’y étaient rendus dans l’espoir de travailler ont finalement fui vers l’Italie pour échapper à cette violence. Durant ce long voyage, les migrants, dont des mineurs, continuent de payer le prix fort avec 3119 morts en mer en 2017 (5096 en 2016 et 382 au 15 février 2018) sur le chemin d’une vie espérée meilleure.

NOTE

(1) Reach, « Greece and Italy: Refugee and migrant children face challenges in achieving their objectives and lose out on education once in Europe », 25 juillet 2017.

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