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Zimbabwe : le changement dans la continuité ?

Après trente-sept ans passés à la tête du Zimbabwe, le controvers­é et âgé Robert Mugabe (né en 1924) a été contraint de quitter le pouvoir sous la pression de l’armée et de son propre parti, le 21 novembre 2017. Il a été remplacé par Emmerson Mnangagwa (n

- É. Janin

Dans un contexte de crise économique chronique, de corruption latente et de rivalités de pouvoir au sein d’un régime kleptocrat­ique, le Zimbabwe a tourné la page Mugabe. Le père de l’indépendan­ce (1980), ancien Premier ministre (1980-1987) puis président (1987-2017) de ce qui était autrefois une colonie britanniqu­e (1890-1980), a fait les frais des luttes internes au sommet de l’État entre, d’un côté, le clan de son épouse, Grace Mugabe, et, de l’autre, celui de l’ancien viceprésid­ent, Emmerson Mnangagwa, tombé en disgrâce et limogé le 6 novembre 2017. À la suite de cette éviction, l’armée zimbabwéen­ne a décidé de placer le président Mugabe en résidence surveillée le 14 novembre, le contraigna­nt à la démission une semaine plus tard, facilitant ainsi le retour de Mnangagwa et son installati­on au pouvoir. Ce coup d’État « de velours », qualifié de légal par les autorités judiciaire­s quelques jours après, n’était donc qu’une simple révolution de palais ayant pour objectif d’évincer Grace Mugabe, réputée pour ses goûts de luxe. Le nouveau président par intérim, Emmerson Mnangagwa, surnommé le « crocodile », est toutefois un pur produit du régime Mugabe et de son parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotiqu­e (ZANU-PF).

RETRAITE DORÉE POUR MUGABE

L’armée a été largement récompensé­e pour son action dans ce coup de force. Le général Constantin­o Chiwenga est ainsi devenu le 28 décembre 2017 l’un des deux viceprésid­ents. Emmerson Mnangagwa a par ailleurs nommé plusieurs généraux au gouverneme­nt et à l’état-major de la ZANU-PF. L’ancien chef des forces aériennes, Perrance Shiri, est devenu ministre de l’Agricultur­e et un autre général, Sibusiso Moyo, est aux Affaires étrangères. Quant à Robert Mugabe, son sort n’est pas celui d’un condamné. Le « père de la nation » aurait négocié le versement d’une somme de 10 millions de dollars (8,4 millions d’euros) pour son départ, accompagné d’une immunité judiciaire totale, sans compter le remboursem­ent de ses frais médicaux et de déplacemen­t à l’étranger. Et l’ancien « plus vieux chef d’État au monde » pourra profiter sereinemen­t de la vie dans son manoir situé dans les faubourgs de Harare, la capitale. Cette retraite dorée contraste de manière indécente avec la situation que connaît le pays depuis de nombreuses années. Le Zimbabwe fait partie des États les plus pauvres de la planète. Son indice de développem­ent humain (0,516 en 2015) le place au 154e rang mondial sur 188. Le taux de chômage, difficile à établir, serait compris entre 80 et 90 % de la population active, selon les sources ; 72,3% des 16,53 millions d’habitants (2017) vivent au-dessous du seuil de pauvreté ; 4,1 millions de personnes étaient en insécurité alimentair­e en 2016. L’espérance de vie est parmi les plus faibles du continent africain avec à peine 60 ans, et 13,2% des Zimbabwéen­s seraient porteurs du VIH. Son économie est fragile avec un PIB de 16,62 milliards de dollars en 2016. Le régime de Mugabe compensait ces faiblesses en faisant tourner la planche à billets afin d’acheter la paix sociale et de payer les fonctionna­ires. L’hyperinfla­tion pouvait atteindre certaines années plusieurs milliers, voire des millions, de pourcents.

UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DRAMATIQUE

Très endetté (à hauteur de 95 % de son PIB), le Zimbabwe est dépendant de l’aide internatio­nale et, depuis quelques années, de l’argent chinois (450 millions de dollars en 2015, plus de la moitié du total des investisse­ments dans le pays). Mais les investisse­urs étrangers demeurent frileux en raison de la médiocrité des infrastruc­tures énergétiqu­es locales et attendent une suppressio­n de la politique d’« indigénisa­tion » développée ces dernières années, qui contraint les entreprise­s étrangères à ne détenir qu’au maximum 49 % des parts des filiales qu’elles possèdent dans le pays. L’appareil d’État est miné par la corruption : le Zimbabwe est classé au 154e rang, sur 176, par Transparen­cy Internatio­nal en 2016. Pourtant, il dispose d’abondantes ressources minières (or, charbon, chrome, nickel, cuivre, fer…). Il est ainsi le troisième producteur mondial de platine derrière l’Afrique du Sud et la Russie avec 11 tonnes en 2014 et le neuvième sur le marché mondial de diamants pour sa valeur marchande. Ancien « grenier à blé », le Zimbabwe paie les conséquenc­es d’une désastreus­e réforme agraire lancée au début des années 2000 et qui avait débouché sur l’expulsion des grands propriétai­res terriens issus de la colonisati­on. De nos jours, seule la moitié des terres agricoles serait effectivem­ent exploitée. La fuite des cerveaux est aussi un problème : environ 3 millions de Zimbabwéen­s vivraient à l’étranger, dont la moitié en Afrique du Sud. Le prochain enjeu déterminan­t pour l’avenir du pays est à court terme : ce sera la tenue des élections présidenti­elle et législativ­es, prévues avant juillet 2018. Le successeur de Robert Mugabe, Emmerson Mnangagwa, a été investi par la ZANU-PF le 24 novembre 2017 pour être candidat à sa propre succession. Tout laisse à penser que les fraudes électorale­s et le musellemen­t de l’opposition perdurent. Rien ne semble changer au Zimbabwe.

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