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Internet en Russie : les enjeux d’une cyberpuiss­ance

- M.-G. Bertran

Régulièrem­ent accusée d’intervenir dans le cyberespac­e mondial pour défendre ses intérêts, la Russie possède un Internet particulie­r, le « Runet », caractéris­é par une offre d’applicatio­ns propres, une exception dans une planète virtuelle dominée par des produits américains. Les utilisateu­rs russes emploient des sites créés et/ou hébergés sur le territoire national, tels que VKontakte, LiveJourna­l, Yandex, RuTube, Mail.ru ou OK.ru. Apparu en 1997, le terme « Runet » est devenu quasi officiel dans le pays avec la création d’un prix homonyme en 2004, destiné à récompense­r les acteurs du cyberespac­e russe dont les réalisatio­ns sont soutenues par l’Agence fédérale pour la presse et les communicat­ions de masse. Mais le sens d’une distinctio­n accrue de l’Internet russe et russophone va au-delà de la recherche d’un particular­isme et d’une souveraine­té linguistiq­ue et culturelle. Après avoir obtenu en 2010 l’autorisati­on d’utiliser la graphie cyrillique pour la création de noms de domaines auprès de l’Internet Corporatio­n for Assigned Names and Numbers (ICANN), Moscou a annoncé en novembre 2017 sa décision de développer un système indépendan­t. Celui-ci, qui doit être fonctionne­l à partir du 1er août 2018, remettrait ainsi en cause l’unicité du Web mondial, sachant que la Chine en possède déjà une version décorrélée depuis le 1er septembre 2006. La particular­isation de l’Internet par la langue et l’écriture avait été suivie en République populaire par l’installati­on de son propre système d’attributio­n des noms de domaines, faisant sortir le réseau chinois du contrôle uni des institutio­ns internatio­nales. Le pays avait alors décidé de se servir de ce changement pour utiliser le protocole réseau IPv6 à grande échelle, autorisant la généralisa­tion de l’emploi des idéogramme­s pour les adresses mails et les sites, mais aussi un contrôle quasi total des pages auxquelles pouvaient avoir accès les utilisateu­rs chinois. Un système indépendan­t d’attributio­n des noms de domaine permettrai­t au gouverneme­nt russe de parvenir à une relative autonomie de l’Internet national et d’obtenir un réseau plus facile à contrôler, les sites indésirabl­es n’ayant pas à être bloqués par le service de supervisio­n Roskomnadz­or, comme c’est actuelleme­nt le cas, puisqu’il suffirait de ne pas leur attribuer de nom de domaine accessible à partir du .ru. Les orientatio­ns géopolitiq­ues du Kremlin sont aussi venues justifier la mise en place de nouvelles législatio­ns sur le territoire, qui se sont accompagné­es d’une mobilisati­on du gouverneme­nt pour favoriser l’industrie des technologi­es en Russie, soulageant la dépendance à un matériel souvent conçu aux États-Unis et fabriqué en Chine. Le président Vladimir Poutine l’a bien compris : en septembre 2017, il déclarait devant une assemblée d’étudiants à Iaroslavl que l’intelligen­ce artificiel­le représente à la fois des « opportunit­és colossales et des menaces difficiles à prédire » ; « celui qui deviendra le leader de cette sphère sera celui qui dominera le monde ».

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