Cuba : y a-t-il une vie après le « castrisme » ?
Pour la première fois depuis la révolution de 1959, Cuba n’est plus dirigé par un Castro. Au pouvoir depuis 2006, le président Raúl Castro (né en 1931), frère de Fidel (1926-2016), doit passer le relais après les élections générales du 11 mars 2018 et la nomination de son successeur le 19 avril. Toutefois, cela signifie-t-il la fin du régime ? Sans doute que non, car l’ouverture politique et économique ne se réalise qu’à petits pas.
Si 2018 est une année importante pour les Cubains, 2021 le sera plus encore, car c’est à cette date que Raúl Castro laissera véritablement le pouvoir, lorsqu’il cédera sa place de secrétaire général du Parti communiste de Cuba (PCC), qui lui assure un poids institutionnel considérable sur le bureau politique, l’armée, les forces de sécurité, donc une influence sur la société et l’économie. Tout indique alors que le « castrisme » ne disparaîtra pas tout de suite, même s’il s’est adapté depuis le départ de la scène publique de Fidel en 2006. En effet, son petit frère et compagnon de lutte contre le régime de Fulgencio Batista (1940-1944 et 1952-1959), officiellement nommé président en 2008, a introduit des mesures visant à libéraliser une économie étatique avec, par exemple, la possibilité d’ouvrir des commerces : en 2017, 201 activités étaient exercées par des entrepreneurs privés, à leur compte (cuentapropistas), essentiellement dans les services comme la coiffure, la restauration, les taxis. De même, l’achat de voitures ou de logements peut se faire entre particuliers. Ces quelques exemples montrent une certaine ouverture du régime, obligé de s’adapter à la mondialisation, alors que son principal allié diplomatique et commercial, le Venezuela, connaît l’une des plus graves crises de son histoire. Cela n’a d’ailleurs pas été sans conséquence pour Cuba, dont le PIB a baissé en 2016, une première depuis 1993.
QU’EST-CE QUE LE « CASTRISME » ?
Lorsque la révolution renverse le système corrompu de Batista, Cuba est une sorte d’antenne des États-Unis – puissance dominante depuis le départ des Espagnols en 1898 – où l’économie est entièrement détournée au profit d’une minorité dirigeante dans un pays pauvre. Fidel Castro et ses proches, dont Ernesto Guevara (1928-1967), le « Che », mettent en place des politiques d’éducation et de santé sur l’ensemble de l’île. Ainsi, Cuba présente des indicateurs à faire pâlir d’envie les plus riches nations de la planète. En 2017, le taux d’alphabétisation est de 99%, l’espérance de vie atteint 80 ans, la mortalité infantile est tombée à 4,3 ‰, avec un médecin pour 125 personnes, des chiffres que l’on ne retrouve même pas aux États-Unis. Cette dynamique visant à réduire les inégalités sociales et à démocratiser les soins et l’accès à l’éducation n’a néanmoins été possible que grâce au soutien de l’Union soviétique dans un contexte d’embargo décrété par Washington en 1962. La disparition de celle-ci en 1991 est un choc pour Cuba, qui doit s’adapter afin de maintenir son modèle. Décidé à ne jamais ouvrir l’île au capitalisme, Fidel Castro doit faire des concessions en 1993, car depuis 1989, le PIB a baissé de 35 %, les exportations et les importations de 75 %
chacune. Le régime autorise alors les premières initiatives privées et les remesas, fonds venant des exilés pour aider leur famille, et il légalise le dollar. Le contrôle étatique de ces quelques réformes et surtout le blocus américain, renforcé en 1996 avec la loi Helms-Burton – qui interdit à toute entreprise, quelle que soit sa nationalité, de commercer avec le régime –, maintiennent Cuba dans son isolement, un isolement atténué au début des années 2000 avec le partenariat noué avec le Venezuela de Hugo Chávez (19992013). Mais les Cubains doivent se débrouiller et cumuler plusieurs activités pour satisfaire leurs besoins, notamment alimentaires.
UNE OUVERTURE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE LIMITÉE
Raúl Castro sait qu’il doit ouvrir son pays au monde s’il veut maintenir les bases du régime. L’« actualisation » du socialisme cubain décolle alors quand La Havane augmente, en 2010, le nombre d’activités autorisées aux cuentapropistas, ceux-ci passant de 141 600 en 2008 à 579 415 en 2016 – les métiers dits « nobles », tels que médecin ou avocat, restent publics. Les autorités réduisent la quantité de fonctionnaires, sachant que l’État est le premier employeur du pays, permettent aux PME d’embaucher des salariés et ouvrent l’île aux investissements étrangers. Le tourisme décolle, passant de 1,7 million de visiteurs en 2000 à 4 millions en 2016, devenant le troisième secteur le plus important de l’économie et rapportant 3 milliards de dollars cette année-là, après la médecine – personnels et médicaments – (7 milliards) et les remesas (3,4 milliards). En 2011, le régime permet même la distribution de terres à des fermes privées. L’objectif est de montrer que Cuba peut changer, tout en maintenant le pouvoir en place, qui reste maître de toute évolution politique et économique. On le voit par exemple avec la limitation des libertés publiques (expression, réunion, manifestation, association…) ou le faible accès à Internet (39 % en 2016). Si Raúl Castro et son successeur affrontent de nombreux défis socioéconomiques intérieurs, ils doivent également se soucier des liens avec les États-Unis. En effet, tout s’était bien passé avec Barack Obama (2009-2017), avec la réouverture des relations diplomatiques en 2015 et l’autorisation pour les Américains de faire du tourisme sur l’île. Mais, en juin 2017, Donald Trump renforce les sanctions contre Cuba. De quoi légitimer la rigueur du castrisme.