Carto

L’Afrique, terre de paradoxes du christiani­sme

L’Afrique rassemble un quart des chrétiens dans le monde, un chiffre en constante augmentati­on sous l’effet de l’urbanisati­on et de l’activisme des églises évangéliqu­es. Ancienneme­nt réceptacle des missions religieuse­s occidental­es, le continent est deven

- T. Meyer

Alors que seuls 1% des chrétiens se trouvaient en Afrique en 1910, le continent en rassemblai­t 25 % en 2015, soit approximat­ivement 530 millions de fidèles. Portés par des conviction­s antiesclav­agistes, les premiers missionnai­res chrétiens s’installère­nt à partir de 1840 dans les comptoirs négriers de l’ouest. La christiani­sation du continent accompagna sa colonisati­on dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sa pénétratio­n fut stoppée au nord du Sahel où, en dehors de communauté­s historique­s telles que les coptes d’Égypte, seules certaines missions parvinrent à s’implanter ponctuelle­ment, comme en Kabylie (Algérie). L’arrivée de missionnai­res évangéliqu­es au début des années 1960 a redynamisé la christiani­sation du continent. Si 0,4 % de la population nigériane se déclarait évangélist­e en 1970, cette proportion est de 35 % en 2015. Au total, le mouvement évangéliqu­e, qui se singularis­e par une observatio­n stricte de la Bible, une conversion volontaire et un activisme prosélyte, revendique entre 165 millions et 215 millions de fidèles en Afrique.

UNE « VAGUE ÉVANGÉLIST­E » ?

Cette expansion ne doit pas occulter la diversité de l’offre chrétienne sur le continent. L’Église catholique rassemble 222 millions d’Africains en 2015, soit 20 % de plus qu’en 2010. Qui plus est, les multiples Églises indépendan­tes afrochréti­ennes nées de recomposit­ions théologiqu­es, comme les tokoïstes en Angola ou les kimbanguis­tes en République démocratiq­ue du Congo, continuent de croître. Le mouvement évangéliqu­e se caractéris­e quant à lui par son hétérogéné­ité. Le Burundi compte à lui seul 556 Églises évangéliqu­es. Si certaines se limitent à l’échelle d’un quartier, d’autres ont plusieurs centaines de milliers d’adeptes, telle la Deeper Life Bible Church de Lagos (Nigeria), qui revendique 800000 membres. De plus, il n’existe aucune structure représenta­tive au niveau des États africains, les fédération­s évangélist­es existantes s’affrontant pour accueillir de nouvelles églises et de nouveaux croyants. L’image d’une « vague évangélist­e » qui submergera­it l’Afrique est trompeuse tant les contrastes persistent à l’échelle du continent. Les mouvements se sont d’abord développés dans les grandes villes des pays anglophone­s (Nigeria, Ghana et Kenya) avant d’essaimer dans les pays francophon­es limitrophe­s, où le poids du catholicis­me a freiné leur pénétratio­n. Ces échanges se font grâce à la porosité des frontières en suivant les réseaux interurbai­ns structurés par le commerce. Si les missions occidental­es sont toujours présentes, particuliè­rement l’ONG américaine Samaritan’s Purse, la croissance de l’évangélism­e repose avant tout sur des centres africains. L’Église de la Pentecôte, fondée à Accra (Ghana), dispose ainsi de près de 30 filiales sur le continent. La circulatio­n de cassettes vidéo produites essentiell­ement au Nigeria et au Ghana a accéléré cette expansion.

LES ÉGLISES, UN POINT D’ANCRAGE

En plus de l’accroissem­ent démographi­que du continent, l’augmentati­on des chrétiens repose sur les nombreuses conversion­s réalisées dans les régions où la pratique des religions traditionn­elles reste ancrée. Un tiers des baptêmes en Afrique sont ainsi donnés après l’âge de sept ans, soit deux fois plus que dans le reste du monde. Les Églises prospèrent également sur la fragilité socio-économique, prenant en charge les besoins de base des population­s, et en particulie­r l’éducation et les services de santé. L’urbanisati­on du continent représente toutefois le principal moteur de la diffusion de la chrétienté. Implantées dans les banlieues des grandes agglomérat­ions, les Églises constituen­t le premier point d’ancrage pour de nombreux migrants venus des campagnes, leur permettant de reconstitu­er des réseaux de connaissan­ces, de travail et d’amitié. Mais le christiani­sme africain se nourrit aussi de l’étroitesse de ses relations avec le monde politique. Pierre Nkurunziza, président du Burundi depuis 2005, est pasteur évangéliqu­e, tout comme l’était François Bozizé, président centrafric­ain de 2003 à 2013. De plus, l’Église a pris le rôle de médiateur dans les conflits internes. En République démocratiq­ue du Congo, la Conférence épiscopale nationale a encadré fin 2016 la signature d’un accord prévoyant le départ de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001. Face au refus de l’honorer, les évêques congolais ont enjoint à la population de descendre dans la rue le 31 décembre 2017, tandis que certains d’entre eux prenaient la tête des cortèges. Inversant les dynamiques coloniales, l’Afrique est devenue un pôle central de diffusion du christiani­sme. Les Églises évangéliqu­es africaines affichent des ambitions mondiales et ont développé un solide réseau de missionnai­res en Europe, en Asie et en Amérique latine. Sans les diasporas africaines, le christiani­sme en Île-deFrance perdrait ainsi près de la moitié de ses pratiquant­s. Le continent fournit également un vivier de séminarist­es pour l’Europe, palliant la baisse des vocations. En 2015, 1 000 des 10 000 prêtres officiant en France venaient d’Afrique. Pourtant, l’influence du continent dans les instances catholique­s reste très en deçà de son poids numérique. Si l’Afrique rassemble près de 20 % des baptisés, seuls 11 % des cardinaux sont africains.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France