États-Unis : des terres et des hommes contre Washington
L’occupation pendant 41 jours du Refuge faunique national de Malheur, dans l’Oregon, par des militants armés en janvier et février 2016 a rappelé le poids des sentiments antigouvernementaux aux États-Unis. Dynamisés par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2017, ces mouvements se cristallisent autour de l’utilisation des terres fédérales concentrées dans l’ouest du pays.
Le gouvernement fédéral américain possède 2,6 millions de kilomètres carrés de terres (2015), soit 28 % de la superficie du pays, majoritairement situées dans douze États de l’Ouest (cf. carte 1). L’emprise de ces sols fédéraux y est écrasante : 78,9 % du Nevada appartiennent à l’État central, 63 % de l’Utah, 61 % de l’Alaska, 53 % de l’Oregon et 50 % du Wyoming. Cette situation témoigne de la construction du territoire américain. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les terres acquises à l’ouest des Appalaches étaient transférées aux fermiers, aux compagnies du rail ou aux vétérans afin de les aménager. Le reste était utilisé librement comme pâturages par les éleveurs, les mineurs et les bûcherons. Au tournant du siècle, la crainte d’une surexploitation des ressources en bois poussa le gouvernement fédéral à conserver la propriété de ces terres, tout en autorisant leur utilisation. Les conditions d’exploitations furent toutefois graduellement resserrées. Ce n’est qu’en 1976 que le Congrès officialisa le maintien permanent de ces territoires dans le giron public, déclenchant alors un mouvement de révolte, la rébellion du Sagerbush, revendiquant le transfert des terres fédérales aux autorités locales.
LE POIDS DES INSTITUTIONS ET DES AGENCES FÉDÉRALES
Près de 97% de ces espaces sont gérés par quatre agences fédérales (le Bureau de gestion du territoire, le Service des forêts, le Service de
la pêche et de la vie sauvage et le Service des parcs nationaux) dont les attributs sont doubles. D’un côté, elles supervisent l’exploitation privée des ressources présentes sur leurs terres, qui rapportent chaque année 2 milliards de dollars en royalties au budget national. En 2017, 41 % du charbon, 21 % du pétrole et 14 % du gaz naturel produits aux États-Unis étaient extraits de terrains fédéraux. De l’autre, elles doivent veiller à la conservation des écosystèmes, rôle renforcé sous Barack Obama (2009-2017). Ces nouvelles réglementations environnementales sont perçues par les habitants comme le témoignage d’une déconnexion des responsables politiques de la côte est avec les traditions rurales. Dans les régions de l’ouest, dont l’économie est dépendante de l’élevage, de l’extraction minière ou de l’exploitation des hydrocarbures, cette évolution a alimenté les revendications de transfert des terres fédérales aux États. Cette dynamique profite de l’engagement de différents groupes de pression nationaux, tels que l’American Legislative Exchange Council, alimentés par des donateurs industriels. Ces conflits ont attiré l’intérêt des mouvements antigouvernementaux à la recherche de confrontations avec l’État fédéral. Le Southern Poverty Law Center recense 623 groupes antigouvernementaux actifs en 2017 aux États-Unis, dont 163 milices armées. Si leur nombre varie en fonction de l’orientation du gouvernement (on en comptait plus d’un millier pendant les années Obama), ces initiatives ont été galvanisées par la confrontation en 2014 au Nevada entre les forces fédérales et une centaine de ranchers armés lors d’une dispute déclenchée par le refus d’un éleveur de payer ses droits de pâturage à l’État. L’idéologie et les revendications de ces mouvements restent hétéroclites. S’autoproclamant « patriotes », leurs militants demandent que le gouvernement fédéral respecte une lecture stricte de la Constitution et mette fin à ce qu’ils estiment être des abus du droit de propriété, de la liberté d’expression et du droit de port d’arme. L’un des organismes les plus influents est le Free State Project, dans le New Hampshire (cf. document 2). Les plus extrémistes adhèrent au principe du Posse Comitatus, qui ne reconnaît pas au gouvernement fédéral le droit de réglementer l’utilisation des terres et qui considère les shérifs de comté comme l’unique autorité légitime. La récupération des conflits sur l’usage des sols fédéraux par les groupes antigouvernementaux ne fait pas l’unanimité. Si les exploitants utilisant ces espaces contestent les réglementations environnementales, ils s’accommodent généralement des frais réclamés par le gouvernement fédéral qui sont entre huit et dix fois moins élevés que ceux pratiqués sur des terres privées.
UN EFFET LIBERTARIEN APRÈS L’ÉLECTION DE DONALD TRUMP ?
Malgré l’essor du Tea Party à la fin des années 2000, aucun pont n’avait été créé entre ces groupes marginaux et le Parti républicain. Mais l’utilisation d’une rhétorique anti-establishment par Donald Trump durant sa campagne a permis de légitimer le discours antigouvernemental. Le pardon accordé en août 2017 par le président au shérif Joe Arpaio, figure du mouvement Posse Comitatus condamné pour atteinte à l’autorité de la justice six mois plut tôt, symbolise ce rapprochement. Les conséquences de l’élection de Donald Trump sur l’évolution des terres fédérales sont plus incertaines. Le transfert de leur contrôle aux États, dont les coûts de gestion sont estimés à 80 millions de dollars par an pour l’Utah, divise les républicains. Le risque d’une privatisation de ces terres par des États incapables d’assumer leur entretien a soulevé l’opposition des organisations de chasseurs proches du parti. Si le nouveau président s’est dit opposé à cette option, il s’est engagé à assouplir les règles encadrant leur exploitation et à limiter l’expansion des espaces protégés. Fin 2017, Donald Trump décidait ainsi de réduire de 85% la taille du parc national de Bear Ears, dans le sud-est de l’Utah.