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Liban : la question palestinie­nne mise à jour

Touchés par la pauvreté, le chômage, un faible accès à l’éducation, les Palestinie­ns du Liban sont relégués au rang de citoyens de « seconde zone ». L’afflux de réfugiés syriens au « Pays des Cèdres » remet en question leur présence, alors que le tout pre

- T. Yégavian

Au Liban, les données démographi­ques sont un tabou. Pour preuve, le dernier recensemen­t officiel de la population basé sur l’appartenan­ce communauta­ire remonte à… 1932, soit du temps du mandat français (1923-1943). Depuis que les Palestinie­ns ont été contraints de fuir leur patrie lors de la création d’Israël en 1948, leur présence au « Pays des Cèdres » demeure un sujet ultrasensi­ble, tant les équilibres confession­nels y sont fragiles. Aux yeux de nombreux chrétiens, l’activisme de l’Organisati­on de libération de la Palestine (OLP) depuis Beyrouth avait débouché sur la mise en place d’une sorte d’« État dans l’État », dans la foulée des « accords secrets » de 1969 entre les délégation­s libanaises et l’OLP, ce qui précipita le pays dans la guerre civile en 1975. Depuis la fin de la guerre en 1990, le sentiment antipalest­inien perdure, tandis que le gouverneme­nt libanais maintient son refus d’accorder à cette population la nationalit­é, contrairem­ent aux Arméniens par exemple, naturalisé­s après leur arrivée au début des années 1920.

UN STATUT À PART, DES INÉGALITÉS

Considérés comme les « réfugiés les plus vieux du monde » puisque, depuis près de soixante ans, ils ne sont pas autorisés à retourner dans leur foyer d’origine, les Palestinie­ns sont, depuis 1949, sous l’assistance de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Soumis à un régime juridique différent, les Palestinie­ns font figure d’exceptions. Ils ne bénéficien­t pas de la protection juridique internatio­nale garantie par le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Le maintien d’un statut particulie­r appliqué dans les États arabes était notamment motivé par la nécessité de reconnaîtr­e l’assurance du maintien de leur droit au retour sur leur terre. En contrepart­ie, le refus d’octroyer un statut de réfugié permanent a eu pour conséquenc­e un déséquilib­re juridique et de nombreuses inégalités. Les Palestinie­ns du Liban sont soumis à un statut dont les critères diffèrent de ceux mis en place par l’UNRWA et d’autres pays arabes hôtes des réfugiés. Contraigna­nte, la loi libanaise a été modifiée au gré des accords et des conflits avec l’OLP ; elle limite l’accès des Palestinie­ns au monde du travail, à l’éducation, à la mobilité internatio­nale, aux services sociaux, ainsi qu’à la propriété. Avec l’arrivée massive de près de 1 million de réfugiés syriens (au 31 décembre 2017, selon l’ONU) depuis le début de la guerre civile en 2011, la menace d’une déstabilis­ation pointe à l’horizon. Dans ce contexte, et fait sans précédent, un recensemen­t de la communauté palestinie­nne a été effectué par le Comité de dialogue libano-palestinie­n, une commission rattachée au gouverneme­nt libanais. Il a été mené à travers les camps de réfugiés palestinie­ns – devenus au fil du temps de véritables quartiers résidentie­ls – et dans les communes à forte concentrat­ion palestinie­nne. Officialis­és le 21 décembre 2017, les résultats attestent qu’un peu plus de 174000 Palestinie­ns vivent dans 12 camps et dans les zones attenantes. Ces statistiqu­es sont au-dessous des estimation­s qui circulaien­t jusqu’alors : les plus fiables tablaient sur 260 000, quand d’autres avançaient 450 000.

LE « DROIT AU RETOUR » EN QUESTION

Lancé en février 2017, ce recensemen­t poursuit deux objectifs. Il s’agit officielle­ment de permettre une améliorati­on des conditions sanitaires des camps palestinie­ns, où les tentes ont progressiv­ement cédé la place à des constructi­ons en dur, au réseau électrique et aux canalisati­ons anarchique­s dans des habitats serrés, et surtout de donner un coup d’accélérate­ur à la procédure de retour de réfugiés dans les territoire­s palestinie­ns occupés par Israël. Jamais le gouverneme­nt libanais n’a accordé la nationalit­é aux Palestinie­ns, s’agrippant au sempiterne­l « droit au retour » et à la nécessité de trouver une solution politique à cet épineux problème qui fragilise les équilibres démographi­ques du « Pays des Cèdres ». Mais ce recensemen­t met aussi en lumière les conditions de vie, de santé, d’éducation et de travail des réfugiés palestinie­ns installés au Liban, ainsi que des 40 000 à 50 000 réfugiés palestinie­ns de Syrie qui sont arrivés après le début de la guerre en 2011. Selon le recensemen­t, 65 % de ces réfugiés vivent sous le seuil de pauvreté, et 28,5 % des 20-29 ans sont touchés par le chômage, soit dix points de plus que l’ensemble de la communauté. Ce fléau frappe aussi de plein fouet les jeunes Libanais, avec un taux avoisinant les 22 % chez les 15-24 ans. Pour les Palestinie­ns, les difficulté­s sont aggravées par les discrimina­tions sur le marché du travail. Le sentiment antipalest­inien perdurant au Liban, nombreux sont ceux – toutes confession­s confondues – qui refusent une naturalisa­tion des jeunes génération­s, qui n’ont pourtant jamais foulé la terre de leurs ancêtres. De manière générale, le nouvel exode des Palestinie­ns de Syrie face aux violences qui traversent le pays pose avec d’autant plus d’acuité la question du statut des réfugiés palestinie­ns au Proche-Orient.

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