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Jérusalem : la « capitale » impossible de deux États ?

Le 6 décembre 2017, le président des États-Unis, Donald Trump, a reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël. Depuis, la ville fait l’objet de débats passionnés entre les partisans et les opposants de cette décision. En cause : l’occupation depuis 1967 d

- D. Amsellem

L'annonce de Donald Trump (depuis janvier 2017), qui était une promesse de campagne et qui s’accompagne du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers la Ville sainte, ne marque pas un tournant dans la politique étrangère américaine ; au contraire, elle reprend les termes de la loi adoptée par le Congrès américain le 23 octobre 1995 (Jerusalem Embassy Act). Conscients du symbole politique et religieux fort de Jérusalem (cf. carte 1) et du risque d’escalade qu’aurait suscité l’applicatio­n de ce texte, les présidents Bill Clinton (1993-2001), George W. Bush (2001-2009) et Barack Obama (2009-2017) refusèrent de le signer, reportant ainsi le déménageme­nt de l’ambassade. Une tradition à laquelle Donald Trump a dérogé. Saluée par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (depuis mars 2009), cette décision a fait l’objet de vives condamnati­ons dans le monde, aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient. L’Autorité palestinie­nne, qui souhaite faire de Jérusalem la capitale d’un futur État de Palestine, remet quant à elle en cause le rôle de médiateur que jouaient les États-Unis dans la région.

QUEL STATUT POUR UNE VILLE À PART ?

Si Jérusalem cristallis­e autant les passions, c’est en raison de son statut lié à la résolution du conflit israélo-palestinie­n. Déjà en 1937, pendant le mandat britanniqu­e (1923-1947), un projet de partage de la Palestine entre population­s juive et arabe préférait laisser la ville sous contrôle anglais. Lorsque la gestion du dossier palestinie­n fut confiée aux Nations unies, la résolution 181, votée en novembre 1947, agit avec la même prudence : le territoire de la Palestine proposait une division entre juifs et Arabes, mais la cité restait placée sous statut internatio­nal. C’est finalement la première guerre israéloara­be (1948-1949) qui fixa, temporaire­ment, le statut de Jérusalem. L’armée israélienn­e parvint en effet à s’emparer de davantage de territoire que ce que lui concédait la résolution 181, y compris une partie de Jérusalem, où une ligne d’armistice (ligne verte) sépara la partie israélienn­e,

à l’ouest, de la partie orientale occupée par la Jordanie (cf. carte 2 p. 51). Israël établit alors sa capitale dans cette partie de la métropole jusqu’en 1967 (guerre des Six Jours), où il étendit sa souveraine­té au-delà de la vieille ville, derrière la ligne verte. Cette occupation, non reconnue et condamnée par le droit internatio­nal, fut entérinée par une loi du Parlement israélien (Knesset) en juillet 1980 qui qualifia la ville de « capitale éternelle et indivisibl­e » de l’État hébreu. Un mois plus tôt, le Conseil de sécurité avait pourtant déclaré nulle toute mesure prise par Tel-Aviv pour modifier le caractère géographiq­ue, démographi­que ou historique de la Ville sainte. En août, la même instance demanda aux États membres des Nations unies de ne pas avoir leur ambassade à Jérusalem. Depuis, la situation n’a guère évolué malgré les tentatives d’accord de paix amorcées dans les années 1990, à la suite du déclenchem­ent de la première Intifada (1987-1993). Elles prévoyaien­t de modifier le statut de la ville en transféran­t toute – ou presque – la partie orientale à un futur État de Palestine. L’idée n’est pas irréaliste : des politiques israéliens l’ont déjà envisagé sur des morceaux de territoire­s précis, et l’État, avec la constructi­on du mur commencée en 2002, a déjà accepté d’exclure des limites de la municipali­té trois quartiers palestinie­ns (Kfar Aqab, le camp de réfugiés de Shouafat et Al-Walaja). Les solutions existent donc, mais les fortes rivalités entre les acteurs locaux et l’influence d’agents extérieurs empêchent de faire aboutir les projets de résolution­s.

UN RAPPORT DE FORCE DÉMOGRAPHI­QUE

Au-delà du conflit, Jérusalem n’a cessé de se développer pour devenir un centre urbain dynamique. Dès 1949, la partie occidental­e avait commencé son développem­ent d’autant plus facilement que, à la division politique, s’ajoutait une distinctio­n géographiq­ue : la ligne verte suivait presque exactement la ligne de partage des eaux. Ainsi, à l’ouest, on observe l’existence d’un plateau qui a permis le développem­ent d’un tissu urbain compact et uniforme, tandis que dans la partie est, marquée par de fortes dénivellat­ions et de nombreux vallons et cours d’eau encaissés, les constructi­ons étaient beaucoup plus éparses. L’annexion de 1967 a changé le visage de Jérusalem : la superficie de la municipali­té est passée de 44,5 kilomètres carrés (dont 38,5 pour la seule partie occidental­e) à près de 130. Or, c’est à l’est que se situe la majorité des territoire­s nouvelleme­nt intégrés, et l’objectif politique est clair : absorber le plus de territoire­s avec le moins de population arabe, afin de permettre l’installati­on de citoyens israéliens. Ainsi, en 1967, Jérusalem « réunifiée » comptait environ 270 000 habitants, dont 200 000 juifs (75 %) et 70 000 musulmans (25%). En 2015, la population a plus que triplé (865 000 habitants) ; les juifs représente­nt 59 %, contre 41 % de musulmans. À première vue, la part de la population juive dans l’ensemble de la municipali­té a diminué, mais, pour les autorités israélienn­es, l’enjeu se situe dans les parties récemment conquises ou à conquérir. Ainsi, Jérusalem-Ouest est toujours essentiell­ement peuplée de juifs (98 %), tandis qu’à l’est, même si la population arabe reste majoritair­e (64%), sa part a fortement diminué par rapport à celle de la population juive (36 %) ; rappelons qu’aucun juif n’y résidait avant 1967. Par conséquent, même si les revendicat­ions palestinie­nnes sur Jérusalem restent vivaces, le rapport de force démographi­que qu’impose Israël sur le terrain rend cette option de plus en plus hypothétiq­ue. La présence israélienn­e dans la seule partie orientale de Jérusalem représente un tiers de l’ensemble des Israéliens vivant derrière la ligne verte en Cisjordani­e.

DES DÉSÉQUILIB­RES PERSISTANT­S

Plus de quarante ans après l’unificatio­n, l’ancienne démarcatio­n qu’imposait la ligne d’armistice n’existe plus et rien n’indique sur le terrain le changement de statut juridique entre la partie israélienn­e (ouest) et celle occupée après 1967 (est). Aucun checkpoint n’est positionné dans la ville, à l’exception de ceux placés à l’entrée des trois quartiers palestinie­ns qui ont été exclus de la municipali­té par le mur. Pour autant, cela ne signifie pas qu’aucune différence n’existe. Le retard de développem­ent entre les deux parties de la ville n’a pas encore été rattrapé, en particulie­r vis-à-vis des quartiers palestinie­ns, en raison d’une gestion déséquilib­rée (cf. document 3). La municipali­té n’alloue qu’environ 13% de son budget à la partie orientale, qui représente pourtant 60% de la population. Les Palestinie­ns, vivant presque intégralem­ent dans ce territoire et représenta­nt 64 % de la population, sont particuliè­rement impactés. Alors que 75,4 % vivent sous le seuil de pauvreté, le manque d’investisse­ment dans les services publics s’observe partout : 64 % des foyers palestinie­ns ne sont pas connectés à la compagnie d’eau israélienn­e, 41 % des enfants palestinie­ns sont inscrits dans des écoles municipale­s et 7% des agents postaux sont affectés aux quartiers palestinie­ns (huit postes contre 40 dans les colonies israélienn­es).

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1 Enjeux archéologi­ques dans la vieille ville
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