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Cuba : une île entre embargo et dépendance­s alimentair­es chroniques

- J. Denieulle

Aux États-Unis, la campagne électorale pour la présidenti­elle de novembre 2020 bat déjà son plein et fait craindre à Cuba un renforceme­nt des sanctions, comme l’a déjà fait un Donald Trump briguant un second mandat. Or, en période de réformes économique­s post-Raúl Castro (2008-2018), l’île a besoin d’ouverture, notamment afin de répondre à une nécessité majeure de sa population : se nourrir.

Depuis 1962, l’île est sous le joug de l’embargo commercial et financier que lui impose son puissant voisin. Objectif : pousser la population cubaine (11,33 millions en 2019) à se révolter contre le régime socialiste en place depuis 1959. Par leur proximité géographiq­ue, les États-Unis représente­nt le marché naturel de Cuba. Mais, privé de cette source agroalimen­taire majeure, l’État est contraint, pour nourrir ses habitants, de se tourner vers d’autres partenaire­s. La situation géopolitiq­ue de l’île a une incidence directe sur les assiettes des Cubains. La chute de l’URSS en 1991 et la fin des aides soviétique­s, qui permettaie­nt à la population de vivre dignement, plongent Cuba dans un marasme économique sans précédent, nommé la « période spéciale » (1991-1994). Son PIB chute alors de 35%, tandis que son commerce extérieur, dépendant essentiell­ement du Conseil d’assistance économique mutuelle (composé des anciens satellites soviétique­s de Moscou d’Europe de l’Est en plus de la Mongolie et du Vietnam), s’effondre. Parallèlem­ent, l’île souffre d’une économie planifiée et peu productive. De cette situation complexe, couplée à une agricultur­e exsangue, il résulte que Cuba reste profondéme­nt et de manière chronique dépendant du marché extérieur.

DES RÉFORMES INSUFFISAN­TES

Sur l’île, l’État est le planificat­eur d’une économie toujours centralisé­e malgré les réformes engagées par Raúl Castro durant sa présidence pour ouvrir peu à peu la société au marché capitalist­e. L’alimentati­on, un secteur stratégiqu­e pour la survie du régime, n’échappe pas à cette règle. Par le biais de sociétés publiques, c’est l’État qui est chargé d’approvisio­nner Cuba avec des denrées venues du monde entier. Dans les meilleures années, l’île ne parvient à produire elle-même que 30% des aliments qu’elle consomme. L’exemple du blé, consommé massivemen­t par les Cubains, démontre à quel point le pays a dû se transforme­r pour s’adapter à un contexte géopolitiq­ue défavorabl­e. Du fait de sa situation géographiq­ue et par manque d’investisse­ments, Cuba n’en produit pas et n’en produira pas, au moins à moyen terme. Cette céréale, à la base de la sécurité alimentair­e de la population, doit être importée. En raison des sanctions, il est impossible de tenter de s’approvisio­nner aux États-Unis, pourtant l’un des plus grands producteur­s mondiaux. L’embargo financier empêche de fait l’île, à qui les crédits sont interdits et qui manque chroniquem­ent de devises, d’y acheter des produits agroalimen­taires. C’est vers l’Europe que Cuba doit alors se tourner pour obtenir la précieuse céréale. Chaque année, ce sont environ 800 000 tonnes de blé tendre qui sont importées par Alimport, une société publique cubaine dont le rôle est d’assurer l’approvisio­nnement alimentair­e du pays. Plus de la moitié de ce volume provient de la France. Jusqu’en 2010, le blé français pouvait représente­r 90 % des importatio­ns de l’île, avant de faire les frais de la volonté politique cubaine de multiplier les partenaire­s commerciau­x afin de sécuriser son approvisio­nnement agroalimen­taire. Malgré tout, l’Hexagone reste un partenaire privilégié de La Havane, qui a considérab­lement renforcé ses liens avec Paris à la suite du traumatism­e économique de la « période spéciale ». Pour exporter des céréales vers Cuba, les relations politiques et la diplomatie économique sont d’une importance centrale : les exportateu­rs céréaliers français n’ont de liens qu’avec des entreprise­s publiques pilotées par le ministère du Commerce extérieur cubain.

RECOURS À LA « DÉBROUILLE »

Malgré le soin apporté par l’État à l’approvisio­nnement alimentair­e du pays, la population

continue de subir les effets de l’embargo. Même si les Cubains bénéficien­t d’un carnet de rationneme­nt mis en place par Fidel Castro (1926-2016) en 1963, la libreta, qui assure à chacun l’accès aux denrées de première nécessité, l’alimentati­on représente toujours, en 2018, 85 % des dépenses familiales. Pour combler les carences du système étatique, la population est régulièrem­ent forcée d’avoir recours à l’économie souterrain­e, où le prix des produits augmente en fonction de la demande. L’approvisio­nnement alimentair­e est un défi constant pour le pouvoir en place, contraint de se moderniser pour faciliter l’accès du pays à la mondialisa­tion agricole. Pour autant, que ce soit pour leur alimentati­on ou d’autres domaines de la vie quotidienn­e, les Cubains restent dépendants de ce qu’ils surnomment « la débrouille », le recours à une économie parallèle. Depuis 2018, la transition progressiv­e vers une nouvelle génération de dirigeants représenté­e par le président Miguel Díaz-Canel – Raúl Castro reste premier secrétaire du Parti communiste cubain, véritable instance dirigeante – met en exergue le défi du régime de devoir se réinventer.

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