Portugal : les limites d’un « petit miracle »
Aux élections législatives d’octobre 2019, le Parti socialiste (PS) du Portugal a remporté 36,65 % des voix, recueillant davantage de sièges que dans la précédente législature (108 contre 86 sur 230), mais sans obtenir la majorité absolue. S’il tire profit de son plan anti-austérité mis en oeuvre en 2015, la face cachée du miracle portugais est loin d’incarner un modèle.
adis bon élève de l’Europe, le Portugal s’est retrouvé au bord de la faillite en 2011, empêtré dans la crise de la dette. Contraint d’appeler la Troïka – FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne – à la rescousse, celle-ci lui accorde un plan de sauvetage de 78 milliards d’euros en échange d’une sévère cure d’austérité, qui se traduit par deux mois de salaires retirés aux fonctionnaires et aux retraités, le gel des investissements, des services publics ponctionnés… Entre 2011 et 2013, la croissance est négative, 700 000 emplois sont supprimés. Aux législatives de novembre 2015, le Parti social-démocrate (PSD) est en tête (89 sièges), mais la gauche l’emporte grâce à un montage insolite : la gerigonça (le « bidule »). En effet, des accords permettent l’arrivée au pouvoir du PS, appuyé par le Bloc de gauche, le Parti communiste et les écologistes. La nouvelle majorité opte pour une politique de relance à contre-courant des conseils émanant de Bruxelles tout en veillant à la rigueur dans les comptes publics. Au programme : la fin de l’austérité, la hausse du salaire minimum, la revalorisation des retraites, la réduction du temps de travail et la relance du pouvoir d’achat. Pour ce faire, le gouvernement dope le tourisme et les investissements étrangers en accordant des facilités aux Angolais et aux Chinois, tout en favorisant les exportations à haute valeur ajoutée. Les résultats n’ont pas tardé à porter leurs fruits. En 2017, la croissance atteint un record de 2,7 % pour fluctuer autour de 2 %. Le chômage (17 % en 2013) est divisé par deux, retrouvant son niveau d’avant la crise, tandis que le déficit public (11,2 % du PIB en 2010), chute à 0,5% en 2018, un chiffre inédit depuis la fin de la dictature et la révolution des oeillets en 1974.
L’ENVERS DU DÉCOR
Si les chiffres semblent éloquents, le Portugal pâtit de nombreuses faiblesses structurelles. Les grandes réformes de fond n’ont pas été faites et la dette (127% du PIB) est insoutenable, tandis que le système bancaire demeure fragile, comme en témoigne la faillite, en 2014, de la Banco Espírito Santo. Le textile, l’agroalimentaire, le mobilier, la mécanique font du Portugal un champion de l’export, mais ces ventes à faible valeur ajoutée dépendent de l’appréciation de l’euro et des fluctuations de la demande des pays acheteurs. Le salaire minimum reste bas : gelé à 485 euros bruts jusqu’en 2014, il est passé à 700 en 2019. Et si le chômage a baissé, c’est pour donner lieu à une généralisation des emplois précaires et peu qualifiés. C’est le cas dans le tourisme (8,2 % de la population active). À cela s’ajoute un sous-investissement dans le secteur public ; les hôpitaux manquent de personnel et les universités sont au bord de la faillite. Phénomène inquiétant : la spéculation immobilière, résultat d’une pression des acheteurs étrangers, qui font flamber les prix des loyers dans les centres-villes et chassent les populations locales vers les banlieuesdortoirs. La libéralisation du marché locatif contribue ainsi à une gentrification des quartiers historiques de Lisbonne et de Porto. Parallèlement, l’émigration, qui a augmenté de 50 % entre 2010 et 2013, se poursuit avec 110000 départs chaque année, principalement des jeunes qualifiés, alors que la population vieillit. Pour réagir, Lisbonne a mis en place, en juillet 2019, le programme « Regressar » (Revenir) : il peut offrir jusqu’à 6 536 euros par personne, prendre en charge les frais de retour d’un candidat et de sa famille, réduire ses impôts… À cela se greffent de lourdes inégalités au niveau territorial, l’intérieur étant délaissé au profit des zones littorales. Une gestion calamiteuse de la couverture forestière frappée par des incendies mortels à répétition et une sécheresse continue métamorphose le paysage, en témoigne l’inexorable baisse des eaux du Tage.
DÉPENDANCE CHINOISE
Arrimé à l’OTAN, le Portugal, qui ne s’est jamais tout à fait remis de la perte de son empire colonial, se projette dans sa zone économique exclusive, la troisième de l’Union européenne (3877408 kilomètres carrés). Il entend ainsi exploiter ses fonds marins et tirer profit de l’importance géostratégique des Açores, où se trouve une base américaine. De leur côté, les ÉtatsUnis s’inquiètent de la dépendance croissante de l’économie portugaise vis-à-vis de la Chine, qui investit dans des secteurs stratégiques comme l’électricité, la banque, les assurances, le gestionnaire du réseau du réseau électrique REN ou la compagnie aérienne TAP. Le pays se métamorphose à l’image du Parlement monocaméral issu du scrutin du 6 octobre 2019. Ce dernier a accueilli trois Luso-Africaines originaires des anciennes colonies, mais aussi un député d’extrême droite de la formation Chega ! (Ça suffit !, en français). Une première pour ce pays europhile jusque-là immunisé contre le populisme.