La France face au déclin rapide de sa biodiversité
Dans son bilan 2019, l’Observatoire national de la biodiversité (ONB) pointe l’accélération du déclin de la biodiversité que connaît la France ces dernières années (1). La destruction et la fragmentation des écosystèmes, la simplification des paysages, la surexploitation des ressources biologiques ainsi que la pollution de l’air, du sol et de l’eau sont autant de causes impactant négativement le vivant et dégradant en profondeur un environnement déjà fragilisé.
La biodiversité est un vaste concept qui décrit la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que la richesse des écosystèmes. En d’autres termes, il ne s’agit pas moins que d’appréhender la richesse du vivant. Pour le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), la variation de la biodiversité se mesure généralement selon trois échelles différentes : au niveau génétique, au sein de l’espèce et à l’intérieur de l’écosystème dans son ensemble. Alors que les espèces sont largement interdépendantes, il est nécessaire, pour leur survie, d’entretenir des écosystèmes sains et une biodiversité riche. D’un point de vue fonctionnel également, la biodiversité joue un rôle fondamental : elle préserve les ressources en eau douce, favorise la formation et la protection des sols, aide à la décomposition des polluants du fait notamment de l’usage de dioxyde de carbone par les plantes pour la photosynthèse, et contribue à la stabilité du climat.
UN PATRIMOINE NATUREL RICHE EN PLEINE ÉROSION
Grâce à son espace maritime de 10,8 millions de kilomètres carrés – le deuxième plus grand du monde – et à sa grande variété climatique et biogéographique, la France dispose d’un patrimoine naturel particulièrement riche. Plus de 180000 espèces sont recensées en métropole et dans les territoires ultramarins, soit 10 % des espèces connues de la planète. La France hexagonale abrite des écosystèmes variés et occupe la première place en Europe pour la diversité des amphibiens, des oiseaux et des mammifères. Elle doit notamment cette abondance à sa variété topographique et climatique et par le fait qu’elle s’étend sur quatre zones biogéographiques (alpine, continentale, atlantique et méditerranéenne). On trouve par exemple une importante variété de coléoptères, de plantes à fleurs, de papillons, de champignons, de mollusques, de crustacés, de poissons, d’oiseaux et même d’araignées. Mais cette richesse provient aussi largement des territoires d’outre-mer. Alors que la Guyane se situe au coeur de l’Amazonie, concentrant entre 50 et 70 % de la biodiversité mondiale, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) disposent d’écosystèmes exceptionnels qui abritent de nombreuses espèces endémiques. Plus largement, les territoires d’outre-mer en regroupent 16 264, soit 84 % de l’ensemble des espèces endémiques françaises. Pourtant, cette richesse naturelle s’érode rapidement. La majorité des territoires français d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, La Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Martinique, Polynésie et Wallis-et-Futuna) sont situés dans des « points chauds » de la biodiversité menacée : Caraïbes, océan Indien, Océanie. Selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la France figure parmi les 10 pays abritant le plus grand nombre d’espèces mondialement menacées (1 353). Tandis que 68 % des habitats menacés au niveau européen sont présents en France métropolitaine, on observe une disparition de 22 % des oiseaux communs de métropole entre 1990 et 2017 (dont 33 % dans les milieux agricoles et 30 % en milieux bâtis) et de 38 % des chauves-souris entre 2006 et 2016. La situation des 125 mammifères recensés dans l’Hexagone se détériore également : alors que 23 % des espèces terrestres et 25 % des marines étaient menacées ou quasi menacées en 2009, ce taux s’élève respectivement à 33 et 32 % en 2017. Cette même année, dans les territoires d’outre-mer, 29 % des sites maritimes suivis montraient quant à eux une perte de surface des coraux vivants.
UN DÉCLIN DE LA BIODIVERSITÉ DÛ À DES CAUSES ANTHROPIQUES
L’action humaine joue un rôle prépondérant dans le déclin de la biodiversité. Au sommet des facteurs directs de changement impactant
le plus négativement le vivant, on retrouve par ordre d’importance : les modifications d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, le changement climatique, la pollution, et les espèces exotiques envahissantes. Alors que la transformation de l’occupation des sols est l’un des facteurs principaux du déclin de la biodiversité, la France métropolitaine a perdu plus d’un demi-million d’hectares de terres agricoles et d’espaces naturels entre 2006 et 2015, au profit de surfaces goudronnées ou bâties. Selon le bilan 2019 de l’ONB, le rythme de cette artificialisation dépasse celui de la croissance de la population, avec une augmentation de 1,4 % en moyenne par an sur la période. Et il ne faut pas négliger les effets de l’industrie, notamment les rejets dans les fleuves. Mais lorsque les habitats sont préservés, l’autre risque qui pèse est celui de leur « simplification ». C’est le cas lors de la conversion agricole de certaines surfaces : l’agrandissement des parcelles cultivées, la mise en place de monocultures ou la disparition de supports de biodiversité comme les haies, les surfaces enherbées ou les arbres isolés participent à réduire la richesse du vivant. En France, l’agriculture joue donc un rôle important dans le déclin de la biodiversité. Au-delà de la simplification des sols, le recours aux pesticides constitue une source de pollution majeure et un facteur de destruction de nombreuses espèces d’insectes et de polli- nisateurs notamment. L’utilisation de pesticides chimiques a augmenté de 12% pour les usages agricoles entre la période 2014-2016 et la période de référence 2009-2011. Toutefois, malgré cette hausse, on assiste dans le même temps à d’importantes avancées dans le traitement des eaux usées, conduisant à certaines améliorations comme la diminution de la teneur des polluants dans les cours d’eau depuis 1998.
Selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la France figure parmi les 10 pays abritant le plus grand nombre d’espèces mondialement menacées (1 353).
AU-DELÀ DE LA FRANCE, UN DÉCLIN GLOBAL
La France n’est pas un cas isolé. En mai 2019, la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) réunissant 145 experts de 50 pays a publié les conclusions d’un rapport d’évaluation alarmant sur l’état de la biodiversité à l’échelle mondiale (2). Décrivant un « dangereux déclin de la nature », il pointe notamment un taux d’extinction des espèces inédit et en constante accélération. À l’échelle globale, la diminution de la biodiversité se constate sur plus de 75% des terres émergées et 66% des océans. On estime à un million le nombre d’espèces animales et végétales menacées d’extinction. Dans les prochaines décennies, ce seraient plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33% des récifs coralliens et plus d’un tiers de l’ensemble des mammifères marins qui seraient ainsi menacés. Ces données peuvent être mises en perspective avec les chiffres du Fonds mondial pour la nature (WWF) en 2018 (3). Ce dernier estime qu’entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont chuté de 60% au niveau mondial. Dans l’ensemble de ces conclusions, c’est la rapidité du déclin des espèces qui est pointée : un rythme de disparition cent à mille fois supérieur à celui calculé au cours des temps géologiques. En France, des politiques publiques sont mises en place pour répondre à cette accélération : plan biodiversité, projet agroécologique, objectifs environnementaux de la politique agricole commune et de la politique commune de la pêche, plan « Écophyto » (lancé en 2018) visant à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, sortie du glyphosate, etc. S’il convient de les poursuivre et de les renforcer, le rapport de l’ONB pointe également la nécessité d’engager une évolution profonde des modèles économiques, agricoles et d’aménagement afin de s’orienter vers une utilisation réellement durable des ressources. Dans leurs conclusions, les experts de l’IPBES plaident quant à eux pour la mise en place d’une économie mondiale viable, nécessitant une transformation profonde des systèmes financiers et économiques mondiaux, notamment la fin du paradigme actuel de la croissance économique.
NOTES
(1) Les données de l’ONB sont disponibles sur : http://indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/fr (2) IPBS, The Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services, 2019. (3) WWF, Rapport Planète Vivante 2018, 2018.