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Migrations chinoises et industrie du jeu aux Philippine­s

- C. Guéguen

L’arrivée massive de Chinois travaillan­t dans le secteur du jeu à Manille suscite de multiples interrogat­ions, notamment avec l’accentuati­on des relations diplomatiq­ues et économique­s entre la Chine et les Philippine­s avec le programme « Build, Build, Build ». Si l’apport à l’économie de l’archipel est indéniable, ces migrations génèrent des polémiques.

Près de 200 000 employés chinois travailler­aient dans ce secteur, centré sur la baie de Manille. Ces migrations sont liées à la baisse de l’activité à Macao et à sa délocalisa­tion vers les Philippine­s. L’État chinois interdisan­t le pari par procuratio­n, les acteurs chinois du jeu s’invitent aux Philippine­s où existent des structures de longue date.

UNE OUVERTURE PROFITABLE

À la base de ce secteur se trouve un organisme d’État, la PAGCOR (Philippine Amusement and Gaming Corporatio­n), créé en 1976. Il est à 100 % dirigé par le gouverneme­nt, contrôlé directemen­t par l’Office de la présidence philippine. Ses trois missions sont de réguler, d’autoriser et de délivrer les licences de jeux de cartes, de nombres et de casinos. Les revenus de ces activités sont réinjectés dans divers fonds sociaux pour le développem­ent du pays. La PAGCOR doit aussi permettre la promotion du tourisme dans l’archipel. Dès 2008, le gouverneme­nt a permis à des entreprise­s du jeu étrangères d’investir dans le pays ; la PAGCOR n’a plus le monopole, mais reste l’organisme chargé de délivrer les autorisati­ons. À partir de ce moment, Manille se positionna sur la scène internatio­nale du jeu en tentant de concurrenc­er Macao, la Malaisie et Singapour, mais aussi Las Vegas et l’Australie. En juin 2017, les attributio­ns de la PAGCOR ont été élargies : l’organisme peut désormais signer des accords de partenaria­ts de type joint-ventures avec des entreprise­s étrangères. Cette ouverture a été profitable à l’économie philippine puisque les revenus de cette activité s’élevaient à 3,5 milliards de dollars en 2018, contre 1,9 milliard en 2012. La multiplica­tion des casinos dans la baie de Manille traduit l’aboutissem­ent d’un projet datant du début des années 2000 ; on y compte quatre grands complexes de casinos : City of Dreams, Okada, Solaire et Newport City. Avec la diversific­ation des formes de jeu, notamment le pari en ligne, de nouvelles structures voient le jour. La demande en surface immobilièr­e est telle que l’activité stimule la constructi­on aux marges de la commune de Makati, considérée comme le Central Business District de l’agglomérat­ion capitale du pays. Ainsi, dans le secteur du barangay (quartier) de San Antonio, le bâtiment Techzone rythme la vie de ces jeunes migrants chinois. Ce personnel est également logé dans un périmètre proche de son travail, et ce sont de petits quartiers chinois qui émergent. D’autres surfaces commercial­es disponible­s sont converties, à l’image du Pearl Plaza, proche de l’aéroport. Les centres commerciau­x ou espaces de bureaux peuvent être mobilisés dans toute l’agglomérat­ion.

MAIN-D’OEUVRE CHINOISE

L’impossibil­ité de trouver du personnel sinophone sur place implique son recrutemen­t en Chine, d’où l’accentuati­on des flux migratoire­s. Les mobilités chinoises vers les Philippine­s sont régies dans le cadre des accords ASEAN + 3 (Japon, Corée du Sud, Chine) depuis 2005 ; tout Chinois peut circuler dans un État membre de l’organisati­on pour une période de 30 jours avec le visa touristiqu­e délivré à l’arrivée. En 2018, les entrées touristiqu­es de Chine atteignent 1,2 million. Mais les contournem­ents du visa sont nombreux, et le personnel de l’industrie du jeu est recruté à partir des Philippine­s par des intermédia­ires, dans des université­s chinoises en promettant des salaires attractifs. Aussi, ces employés chinois doivent détenir l’AEP (Alien Employment Permit) et leurs employeurs s’acquitter des taxes au gouverneme­nt. Depuis août 2018, un renforceme­nt des contrôles des services du travail et des taxes est opéré afin de limiter les emplois illégaux dans le secteur du jeu. Cette présence génère des polémiques. En août 2018, le journal Beijing News alertait sur les conditions de travail des employés chinois de plates-formes de paris en ligne, assimilant l’activité à de l’esclavagis­me. Un an plus tard, c’est la pratique de ces activités dans des périmètres stratégiqu­es philippins qui est dénoncée par certains représenta­nts politiques. Les élus demandent la fermeture de ces unités de travail et des restrictio­ns, voire un confinemen­t du secteur dans des périmètres délimités afin de mieux les contrôler. Le gouverneme­nt a rappelé à ces élus que le secteur du jeu générait de l’activité dans le pays et surtout dans l’agglomérat­ion de Manille. Mais les activités illégales et criminelle­s sont également « importées » (réseau de prostituti­on, agressions physiques), que les autorités peinent à stopper.

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