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Sahel : quand le terrorisme menace l’Afrique de l’Ouest

- C. Braccini

Au Mali et au Burkina Faso, des attaques fin 2019 ont rappelé les tensions qui agitent le Sahel. Des villages détruits, des victimes civiles, des pouvoirs locaux impuissant­s…, la lutte contre les groupes armés s’enlise. La menace djihadiste risque de s’étendre à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. La situation soulève la question de l’efficacité des interventi­ons étrangères, alors qu’une « coalition pour le Sahel » a été lancée en janvier 2020.

Le 2 novembre 2019, un militaire français est tué au Mali. En décembre, le jour de Noël, une attaque djihadiste fait 42 morts au Burkina Faso, également touché en janvier 2020. Ces événements rappellent la fragilité d’États en proie à des difficulté­s économique­s, humanitair­es et sécuritair­es complexes.

INSTABILIT­É ÉCONOMIQUE

De nombreux groupes armés déstabilis­ent les États du Sahel. En mai 2019, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, au moins sept mouvements djihadiste­s sont présents, dont Ansar Eddine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l’organisati­on de l’État islamique dans le Grand Sahara, ainsi que quatre non djihadiste­s, comme les rebelles touaregs de l’Azawad (1). Les formations djihadiste­s cherchent à imposer leur version de l’islam aux population­s locales, et leurs actions visent à repousser les forces militaires en présence sur le territoire. Ils peuvent s’impliquer dans les différends intercommu­nautaires en se présentant comme capables de rendre la justice, comme les Touaregs dans le nord du Mali ou les Peuls dans le centre du pays. Les violences et les sentiments d’impunité, d’injustice ou d’inefficaci­té envers les autorités centrales leur permettent parfois de s’implanter durablemen­t au sein des population­s. À la menace sécuritair­e s’ajoute l’instabilit­é économique. La croissance est relativeme­nt bonne, mais vulnérable en raison du terrorisme. Elle est de 4,9% au Mali en 2018, de 6,5% au Niger et de 6,8 % au Burkina Faso, selon la Banque mondiale. Néanmoins, les taux de pauvreté (population disposant de moins de 1,90 dollar par jour) restent élevés : 41,3 % au Mali et 41,5 % au Niger en 2019. Les questions sécuritair­es et économique­s semblent par ailleurs étroitemen­t liées : l’insécurité économique alimente les revendicat­ions et les adhésions aux groupes djihadiste­s ou armés. La précarité forme un terreau favorable au développem­ent de la menace sécuritair­e. À court terme, la réponse à cette dernière par la force armée paraît donc nécessaire, mais elle sera insuffisan­te à long terme.

POROSITÉ DES FRONTIÈRES ET DÉVELOPPEM­ENT DES TRAFICS

Le difficile contrôle des frontières entre les États du Sahel favorise le développem­ent de l’insécurité dans la région et au-delà. Les djihadiste­s se déplacent sans tenir compte des séparation­s géographiq­ues ou politiques, niant la souveraine­té des États. De plus, l’expansion de groupes en provenance du Burkina Faso vers l’Afrique de l’Ouest représente une menace pour les pays de la côte occidental­e. La situation géographiq­ue du Burkina Faso explique en partie leurs déplacemen­ts en direction du sud ; il est le carrefour reliant les pays du nord (Mauritanie, Mali et Niger) à ceux de l’ouest (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana et Togo). Et, en novembre 2018, les principaux dirigeants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ont appelé à rejoindre le djihad en Afrique de l’Ouest, à l’exception de la Mauritanie. Enfin, aux fragilités structurel­les des États côtiers (sous-développem­ent de certaines régions, présence étatique faible) s’ajoute la tenue d’élections présidenti­elles en 2020 au Togo et en Guinée en février et en Côte d’Ivoire en octobre. La possible instabilit­é et les divisions engendrées par ces dernières constituer­ont une opportunit­é à saisir pour les groupes djihadiste­s en quête d’extension. La porosité des frontières favorise également les trafics. Le Niger doit faire face au déplacemen­t de population­s, mais aussi de produits en direction du Mali et de la Libye. Au trafic d’or et de drogues s’ajoute celui des armes. Les population­s pâtissent de la situation. En décembre 2019, l’organisati­on ACLED dénombre 31 actes de violence commis contre des civils au Mali, 14 au Niger et 22 au Burkina Faso. La faiblesse de la présence des États contribue à renforcer le sentiment d’impunité de la population. Ainsi, au Mali, 31% des administra­teurs civils étaient à leur poste dans le nord et le centre du pays fin mai 2019 (contre 34 % en décembre 2018), selon l’ONU. La multiplica­tion des interventi­ons étrangères pose la question de leur efficacité. La France est présente au Mali depuis 2013 dans le cadre de l’opération « Barkhane » ainsi qu’au Burkina Faso et au Niger. L’Italie, l’Allemagne et les États-Unis disposent également de forces dans la région. À cela s’ajoutent les missions civiles de l’Union européenne (UE), de l’ONU et les forces du G5 Sahel. En janvier 2020, à Pau, le président français, Emmanuel Macron, et ses homologues de Mauritanie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad ont défini un nouveau cadre d’interventi­on contre les djihadiste­s, mais cette coalition, à la différence de celle engagée au Moyen-Orient, ne bénéficier­a pas de la puissance de feu des États-Unis, qui envisagent de retirer leurs forces déployées en Afrique.

NOTE (1) Andrew Lebovich, « Mapping Armed Groups in Mali and the Sahel », European Council on Foreign Relations, mai 2019.

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