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Amérique du Sud : la rue contre le pouvoir

- C. Loïzzo

L’année 2019 a été marquée par des contestati­ons sociales sur tous les continents. Elles ont été vives en Amérique du Sud, touchant le Chili, la Bolivie, l’Équateur, le Venezuela, la Colombie, l’Argentine. Comment les comprendre ? Au-delà de la diversité des situations nationales, elle met au jour les dysfonctio­nnements des sociétés.

Les déclencheu­rs des mécontente­ments sont propres à chaque contexte national, mais l’augmentati­on du coût de la vie est une composante récurrente. Ainsi, les rues chiliennes s’embrasent après l’annonce de la hausse du prix du ticket de métro à Santiago. En Équateur, c’est la suppressio­n des subvention­s sur le pétrole qui entraîne des protestati­ons. L’Argentine a dû déclarer l’état d’urgence alimentair­e. Quant au Venezuela, il s’enfonce dans une crise économique et sociale aux conséquenc­es de plus en plus préoccupan­tes, entre émigration massive et crise alimentair­e, aggravées par les sanctions américaine­s.

INÉGALITÉS SOCIALES

Les pays d’Amérique du Sud enregistre­nt des difficulté­s économique­s à des degrés divers. Après la récession brésilienn­e entre 2015 et 2017, de nombreux États de la région ont également fait les frais du retourneme­nt de conjonctur­e après des années 2000 marquées par le « boom des matières premières », qui avait été à l’origine d’une forte croissance pour ces gros exportateu­rs de matières premières minérales et énergétiqu­es. Le cas du Venezuela est symptomati­que. Cette crise dégrade des situations sociales déjà tendues et qui n’attendaien­t qu’une étincelle pour s’embraser. Avec un taux d’extrême pauvreté moyen de 11,5 % en 2019, le sous-continent est la région la plus inégalitai­re au monde, marquée par des contrastes sociaux forts, comme entre grands propriétai­res et paysans sans-terre au Brésil. Au Chili, les riches ministres qui composent le gouverneme­nt creusent un écart de moins en moins supporté par les citoyens. En Colombie et en Équateur, les indigènes, traditionn­ellement marginalis­és sur le plan socioécono­mique, se sont joints aux mouvements de contestati­on. La concentrat­ion des richesses s’enracine dans l’histoire coloniale, mais les disparités s’accentuent, car elles sont peu redistribu­ées, surtout depuis le retour aux affaires de la droite après le virage à gauche qui avait caractéris­é la quasitotal­ité des États au début des années 2000. Le gouverneme­nt d’extrême droite de Jair Bolsonaro (depuis 2019), qui a succédé au Brésil à deux présidents issus du Parti des travailleu­rs (entre 2003 et 2016, Luiz Inácio Lula da Silva puis Dilma Rousseff), remet ainsi en cause le programme « Bolsa Familia », qui avait contribué à une baisse de la misère. Le Chili a longtemps été présenté comme un exemple de réussite du modèle libéral, mais ce succès se paye par un coût social exorbitant, avec les privatisat­ions dans le secteur de la santé, de l’enseigneme­nt ou de l’eau. Ces politiques sont souvent mises en place sous la pression du spectre de la dette, comme en Équateur, où Lenín Moreno (depuis 2017), pourtant issu de la gauche, a obtenu en février 2020 un prêt de 10,2 milliards de dollars auprès de grandes institutio­ns financière­s.

Les Argentins, déjà touchés par une crise de la dette entre 1998 et 2002, ont rejeté les politiques d’austérité du président Mauricio Macri (2015-2019) en élisant Alberto Fernández (centre gauche) en décembre 2019. Les Colombiens manifesten­t contre la politique économique et sociale du conservate­ur Iván Duque (depuis 2018). Le Venezuela se déchire entre deux chefs d’État, Nicolás Maduro et Juan Guaidó, président autoprocla­mé en 2019 reconnu par une soixantain­e de pays, dont les États-Unis. Cette instabilit­é est aussi le signe de l’exaspérati­on croissante des citoyens face à une corruption généralisé­e, climat qui, par exemple, a contribué à la victoire de Jair Bolsonaro au Brésil ou de Martín Vizcarra ( 2018) au Pérou, qui en avaient fait leur cheval de bataille.

L’INCONNUE BOLIVIENNE

Dans la majorité des pays, si les gouverneme­nts ont été contraints au dialogue, c’est parce qu’ils ont d’abord usé de la violence, réprimant les manifestan­ts. En Bolivie, la situation reste tendue. Après sa réélection contestée en octobre 2019, le président Evo Morales est contraint à la démission et à l’exil au Mexique puis en Argentine. La société bolivienne est divisée sur les plans sociaux, ethniques et politiques, la population demeurant schématiqu­ement partagée entre les partisans d’Evo Morales, toujours soutenu par les cultivateu­rs de coca, et ceux de son successeur par intérim, Jeanine Áñez, plutôt Blancs, riches et urbains. Le gouverneme­nt transitoir­e conservate­ur a émis un mandat d’arrêt internatio­nal contre Evo Morales et multiplie les enquêtes pour corruption contre des responsabl­es politiques. Ainsi s’ouvre une période de grande incertitud­e, voire d’instabilit­é, alors que des scrutins importants sont prévus en 2020 (référendum constituti­onnel au Chili en avril, élections générales en Bolivie et locales en Uruguay en mai, régionales et municipale­s au Chili en octobre, législativ­es au Venezuela en décembre).

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Océan Pacifique
Mer des Caraïbes Océan Pacifique

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