Le front commun des femmes face au Parlement
Trop, c’est trop ! Quantités négligeables de la politique turque, les femmes du pays se sont mobilisées pour dire leur effroi devant un projet de loi des élus du Parti de la justice et du développement (AKP), le parti islamoconservateur au pouvoir. Présenté au Parlement le 17 novembre, en douce, juste avant minuit, avec le consentement du président Erdogan, ce texte prévoyait de lever les condamnations pour abus sexuels sur mineure dans le cas où l’agresseur épouserait sa victime. Pour ses auteurs, il s’agissait de donner un vernis légal à la tradition des mariages précoces. Mais pour les organisations féminines, cette proposition revient tout simplement à légitimer le viol sur mineure. Fait rare dans une société déchirée entre laïques et religieux, des femmes de tous bords politiques se sont unies pour bloquer ce texte, avec succès. La très conservatrice et influente Association des femmes et de la démocratie (Kadem), dont la vice-présidente, Sümeyye Erdogan Bayraktar, est la cadette du président Erdogan, a apporté son appui décisif au mouvement. Si les Turques savourent une victoire – le projet de loi a été retiré le 22 novembre –, celle-ci pourrait être de courte durée. Le texte doit être présenté à nouveau au Parlement en janvier, « une fois qu’un consensus aura été trouvé », a fait savoir le Premier ministre, Binali Yildirim. Rien n’est gagné, donc, dans un hémicycle dominé par l’AKP et où les députées n’occupent que 15 % des sièges. Si l’égalité hommes-femmes est garantie par la Constitution turque, celle-ci est battue en brèche par le président Erdogan, dont le parti n’a cessé de s’attaquer aux droits des femmes depuis son arrivée au pouvoir (voir Causette #69). Dans ce climat obscur, la « loi contre le viol » a eu le mérite de réveiller une résistance féminine qui a pris conscience de sa puissance. Leur nombre n’a cessé d’augmenter entre 2000 et 2013. Retraitées, immigrées, mères isolées… l’année dernière, 54 % des bénéficiaires du Secours catholique étaient des femmes, révèle l’association dans son 34e rapport annuel. Si les hommes sont plutôt confrontés au chômage ou à l’exclusion du marché de l’emploi, les femmes, elles, doivent davantage faire face « à des emplois précaires, peu rémunérateurs, ou à des pensions de retraite trop faibles ». L’occasion de rappeler qu’en France, le travailleur pauvre est bien souvent… une travailleuse.