Causette

Du colibri

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Et si on décidait d’accorder aussi de l’importance aux bonnes nouvelles, aux informatio­ns gaies ou positives ? C’est le parti pris par cet album grand format, écrit par Alain Serres. Un vieux journalist­e nommé Théophrast­e s’occupe de mille oiseaux installés dans une volière géante au fond de son jardin. Chaque matin, les oiseaux s’envolent et vont explorer le monde. Chaque soir, ils rapportent des informatio­ns à Théophrast­e, soulagé de voir ses envoyés spéciaux rentrer sains et saufs. « C’est la Grande Conférence du soir. Atchoum, la forêt a encore éternué ! Boum boum ! Les armes ont encore parlé... Et la mer a encore noyé, et la faim a encore affamé, […] Théophrast­e console ses oiseaux. Il leur demande des précisions et les conseille. Il leur demande de faire attention aux mots qu’ils vont demain dire aux gens, surtout aux enfants. » Mais voilà qu’arrive le nouveau venu de la volière, Zunzuncito, le colibri. Et cet oiseau-là, le plus petit du monde, rapporte seulement des bonnes nouvelles de ses expédition­s. Et, en les partageant, il fait du bien autour de lui. Du coup, ceux qui l’écoutent vont mieux et retrouvent l’envie de faire du bien autour d’eux. Peu à peu, l’influence de Zunzuncito s’étend, et la joie aussi : c’est la part du colibri. Pas question pour cet ouvrage merveilleu­sement illustré sur des pages de journaux de nier la gravité et les souffrance­s du monde. Plutôt de rappeler que la solidarité et l’amitié existent aussi, et qu’il est bon d’en informer les peuples. « Voici Épiphanie. Elle a 8 ans et demi. Et voici sa peur. Elle a 8 ans aussi. En huit ans, Épiphanie n’a pas beaucoup grandi. Sa peur, si. » Chaque jour de sa vie, Épiphanie Frayeur, la bien nommée, a la trouille. On ne sait pas vraiment de quoi. Mais son anxiété permanente lui pourrit la vie. Pour s’en débarrasse­r, elle part à la recherche du Dr Psyche, accompagné­e dans sa quête par un guide étrange qu’elle a rencontré en route et par sa peur bien sûr, qui la suit partout sous l’apparence d’une ombre de plus en plus volumineus­e, de plus en plus envahissan­te.

De rencontres loufoques en situations cocasses, voire surréalist­es, Épiphanie progresse dans sa quête, non sans rappeler la célèbre Alice au pays des merveilles. Peu à peu, elle prend conscience qu’elle a peur de... sa peur ! D’ailleurs, elle ne sait pas comment vivre autrement.

La scénariste de ce roman graphique, Séverine Gauthier, manipule les mots et les expression­s avec finesse, s’amusant à les tordre, à les détourner ou à les employer au pied de la lettre. Les dessins et les couleurs de Clément Lefèvre épousent parfaiteme­nt le ton de l’auteure et en soulignent l’humour et le dynamisme, malgré la gravité du sujet abordé. On s’immerge avec plaisir dans leur univers un peu barré mais maîtrisé. Page après page, étape par étape, Épiphanie prend conscience d’elle-même et de tout ce qui la constitue : lassée d’être envahie par sa peur au point de n’être plus définie que par elle, la fillette va gagner en confiance et donc en puissance. Jusqu’à être capable de dominer sa trouille... qui, elle, n’en mène pas large une fois ramenée à sa juste place : celle que la nouvelle Épiphanie voudra bien lui accorder.

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