Causette

Les centres de déradicali­sation à la sauce Mao ?

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Fethi Benslama, le psychanaly­ste qui coordonne l’équipe du centre de Beaumont-en-Véron (Indreet-Loire), expliquait mi-septembre, dans une interview accordée à la chaîne France Info, qu’il refusait net d’employer le terme de « déradicali­sation », car il « fait croire qu’on peut faire tourner à l’envers la machine humaine comme une machine, qu’on peut faire du lavage de cerveau, qu’on peut changer quelqu’un très rapidement » . Quelle que soit l’appellatio­n donnée à ces centres, reste que les questions de méthodes sur la bonne ou la mauvaise façon de déradicali­ser les candidats au djihad restent les mêmes.

Ces établissem­ents doivent-ils s’adresser aux seuls volontaire­s, ou faut-il obliger des personnes qui n’ont pas été condamnées par la justice à s’y rendre ? Faut-il tenter de faire renoncer ces hommes et ces femmes à l’idéologie djihadiste, ou seulement décourager le passage à l’acte ? Les pouvoirs publics doivent-ils évoquer l’islam dans ces centres ? Peuvent-ils prétendre définir ce que l’islam n’est pas, voire dire ce qu’il est ? Doivent-ils inviter des intervenan­ts pour le faire, ou aller jusqu’à tenir eux-mêmes ce discours ? Faut-il chercher à faire adhérer ces individus à la théorie des droits de l’homme, à la démocratie libérale – en fin de compte, faut-il les endoctrine­r ? Peut-on d’ailleurs considérer la liberté d’opinion comme une doctrine ?

Le concept même de centre de déradicali­sation draine avec lui toutes ces questions qui semblent ne permettre que des réponses presque aussi absurdes les unes que les autres.

C’est la première critique qui compte

Aussi fou que cela puisse paraître, certaines leçons pourraient bien être tirées des méthodes d’endoctrine­ment professées par la Chine populaire dans ses camps. En particulie­r pendant la guerre de Corée (1950-1953), quand il s’agissait de convertir des détenus américains au communisme. On commençait par demander à ces prisonnier­s d’exprimer une critique, même infime, à l’encontre des États-Unis (ou, à l’inverse, d’évoquer un aspect modérément positif de la Chine). Cette première étape, apparemmen­t innocente, était en fait la plus compliquée auprès de prisonnier­s qui ne tenaient pas à collaborer. Les détenus étaient ensuite poussés à préciser leurs propos et à en tenir de nouveaux, légèrement plus incisifs. Puis ils devaient signer ces déclaratio­ns et en discuter avec d’autres prisonnier­s, pour approfondi­r leurs observatio­ns et les assumer toujours un peu plus. Une fois assez de propos cumulés, ceux-ci étaient rendus publics. Deux mécanismes psychologi­ques sont ici décisifs : l’engagement, qui pousse l’individu à poursuivre un processus commencé ; et la recherche de cohérence qui, pour donner sens aux propos désormais connus de tous, leur attribue a posteriori une sincérité qu’ils n’avaient pas nécessaire­ment… changeant alors la perception que les prisonnier­s ont d’eux-mêmes. Cette méthode a fonctionné : une fois la guerre terminée, de retour au pays, ces soldats américains furent entendus par des neuropsych­iatres. Quel ne fut pas leur étonnement en découvrant que les conviction­s politiques des soldats avaient radicaleme­nt changé de bord ! Pour ces derniers, l’Amérique de l’Oncle Sam était devenue l’agresseur, et la Chine sa victime.

La France pourrait-elle s’en inspirer pour mettre au point ses propres méthodes ? On en est loin : selon une enquête de France Inter, datée du 11 novembre, les échanges de techniques entre les différents centres de déradicali­sation en France seraient presque inexistant­s… La raison en est simple et désespéran­te : ces établissem­ents sont mis en concurrenc­e sur ce que l’on peut désormais appeler le « marché de la déradicali­sation ». Ils n’ont donc aucun intérêt à se communique­r leurs éventuelle­s méthodes de succès. Devrait-on, par conséquent, les envoyer faire un petit stage… en Chine ? À ce jour, aucun des candidats à l’élection présidenti­elle n’y a pensé ; espèce d’humains !

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