En 2017, on se la coule douce ou dure ?
Est-ce la perspective des bacchanales de fin d’année qui influence les infirmières scolaires dans leur choix de thématiques de prévention ou le simple fruit du hasard, mais je passe plus de temps, en ce moment, à aborder les conduites addictives qu’à parler de sexualité avec les jeunes. Évoquer les drogues dans un établissement scolaire n’est pas chose aisée, surtout en présence de profs ou de surveillants. En effet, les élèves rechignent à s’exprimer de peur d’être taxés de toxicos, et je les invite clairement à ne pas s’exposer. Je leur rappelle que la loi, dans sa grande générosité, prévoit de doubler les peines lorsque des stupéfiants sont consommés, vendus ou donnés à des mineurs, dans l’enceinte des établissements ou dans tout autre local de l’administration. Forcément, ça calme et ça n’invite pas à se mettre à table.
Une fois les recommandations d’usage exposées, on essaye d’élaborer ensemble une définition généraliste des drogues, histoire de savoir de quoi on parle. En général, la dimension psycho-active et les risques d’addiction sont exprimés facilement. Il m’arrive d’interpeller ceux qui ont le nez sur leur téléphone : « C’est qui ton dealer ? Bouygues, Free, SFR ? Accro aux textos ? » La surprise passée, on évoque les conduites addictives aux écrans et leur impact sur la socialisation. C’est souvent une bonne entrée en matière pour identifier le rapport très personnel que chacun peut entretenir avec le produit. Après ce premier temps d’échanges, je les invite à lister les substances entrant dans la définition du mot « drogue ». Le crystal ou meth arrive en tête, confirmant le net succès de la série Breaking Bad, qui a redonné le goût de la physique-chimie à toute une génération. Puis, en vrac, les jeunes citent spontanément le shit (résine de cannabis), la beuh ( herbe), la CC (cocaïne), la MD (MDMA), la codéine mélangée à du Sprite par les rappeurs américains, les champignons et même le LSD qui buvarde à nouveau en soirée. La Krokodil a gagné sa renommée sur les réseaux sociaux avec son lot de lésions cutanées et ses images à sensations. On rencontre parfois des aventuriers psychédéliques, vantant les effets de la muscade ou du datura (plante hallucinogène), mais ça reste très rare.
Éducation, opium du peuple
Le tabac et l’alcool, eux, demeurent les grands oubliés de la liste, parce qu’ils sont légaux, du moins en vente réglementée. Si ces deux produits ne sont pas cités, c’est parce qu’ils sont dissociés, dans l’imaginaire collectif, des stupéfiants aux vapeurs interdites. Réglementés, vous dites ? Ce terme fait bien marrer les ados, car de nombreux commerçants les vendent aux mineurs sans l’ombre d’une culpabilité. « Monsieur, chez les Chinois, on peut même faire des paris sportifs sans avoir 18 ans ! » est une remarque récurrente. Je leur signale que la Chine est le premier pays au monde consommateur de tabac et que la China Tobacco finance la construction d’écoles primaires en signant sur leur fronton : « Le talent vient du travail acharné. Le tabac vous aide à devenir talentueux ! » Bosse et fume, comme ça, tu seras cramé avant qu’on ait à te payer ta retraite ! Quand la toxicomanie devient un ingrédient de l’ultralibéralisme, même l’éducation se transforme en opium du peuple.
Banalisés, ces deux produits sont considérés comme des drogues douces, tout comme le cannabis. Les jeunes expliquent que c’est grâce aux reportages type Enquête d’action sur W9 qu’ils savent identifier les produits ! J’aime bien analyser avec eux ces reportages très stéréotypés, tournés en Seine-Saint-Denis ou à Marseille, avec des « bicraveurs » (dealers) noirs ou arabes, en survêt, la petite sacoche sur le côté et la casquette Vuitton, légèrement floutés devant des halls de cités délabrées. À la télé, le monde de la drogue est divisé avec, d’un côté, les loups blancs de Wall Street, qui se poudrent le nez sur les yachts, et, de l’autre, les Arabes de La Castellane, qui fourguent de la merde sur les plages du Prado. Les raccourcis de la société du